Le Japon est-il mieux placé que la Chine pour affronter le changement climatique ?

En France, les sacs plastiques à usage unique sont interdits, depuis le 1er janvier 2017, en caisse et dans tous les commerces, incitant les consommateurs à utiliser leurs propres sacs réutilisables [1]. Une initiative qui semble la bienvenue quand on sait qu’environ 8 % de la production mondiale de pétrole sert à fabriquer du plastique et que moins d’un cinquième de tous les plastiques sont recyclés dans le monde, selon les chiffres de la National Geographic [2]. Cette interdiction n’est pas une spécificité française puisque d’autres pays ont également adopté des lois similaires comme le Royaume-Uni ou encore Taïwan qui, depuis début 2018, a intensifié sa lutte contre le plastique à usage unique [3]. L’Administration de la Protection de l’Environnement (EPA) indique d’ailleurs que ce sont près de 70% des clients qui choisissent de ne pas payer les 2 dollars taïwanais supplémentaires pour l’achat d’un sac plastique, ayant pour résultat la réduction drastique de ces derniers. En cela, le Japon a bien un voire deux trains de retard.

Le fléau du plastique à usage unique au Japon

Le Japon regorge de convenient stores ou konbini, comme bon nombre d’autres pays asiatiques. 7-11, Family Mart, Lawson, etc., ouverts 24h/24, 7j/7 et proposant tout un tas de produits et de services puisqu’on peut aussi bien y retirer de l’argent aux distributeurs automatiques de billets (ATM) qu’y payer ses factures d’électricité et d’eau. Un point commun à toutes ces enseignes : les vendeurs y distribuent systématiquement un sac en plastique, même pour l’achat d’une banane (d’ailleurs emballée à l’unité)… Le gouvernement de Shinzo Abe a récemment annoncé vouloir facturer ces sacs plastiques et changer les habitus des consommateurs, sur le modèle du voisin taïwanais, tout en s’engageant dans une série d’initiatives favorables à l’environnement

Le Japon, une pointure en termes de développement durable ?

Le Japon est-il un pays actif en production normative environnementale ? On peut espérer que le gouvernement de Shinzo Abe anime une stratégie environnementale globale [4], alors même que se tenait en 1997 le Protocole de Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Même si les questions environnementales ne sont pas encore élevées au rang de menaces crédibles pour la sécurité nationale, quelques avancées sont perceptibles au sein du gouvernement. Des partenariats bilatéraux existent entre le Japon et différentes régions du monde, prenant en compte des facteurs environnementaux. A titre d’exemple, le Japon est historiquement un grand allié de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). En 2007, une coopération environnementale identifiant clairement les Objectifs de Développement Durable (ODD) [5], définis par les Nations Unis, naissait entre le Japon et quelques-uns de ces membres comme l’Indonésie, Singapour ou encore le Vietnam. L’Inde, partenaire historique du Japon, bénéficie également d’une aide nippone via des investissements dans le but de moderniser ses infrastructures, notamment les réseaux de transport, d’énergie et d’eau. L’Inde et le Japon sont par ailleurs engagés dans un projet de connectivité régionale appelé Route de la croissance Asie-Afrique, dont le volet environnemental concerne, là-aussi, les infrastructures. Avec l’Union Européenne, Shinzo Abe a enfin signé un pacte bilatéral, fin 2019, sur les infrastructures promouvant un développement écologique et durable, d’autant plus dans les régions en voie de développement. A côté de ces partenariats bilatéraux, le gouvernement japonais établit un quartier général de promotion des Objectifs de Développement Durable, dirigé par le Premier Ministre dès 2016, ayant un « rôle moteur dans la mise en œuvre des ODD aux niveaux national et international », selon le Ministère des Affaires Étrangères. Enfin, en 2019, le Japon se place 25e sur 180 au Classement de la compétitivité durable de l’Indice mondial de Compétitivité Durable, tenu par le think tank SolAbility [6], derrière la France 20e et devant les États-Unis et la Chine respectivement 34e et 37e. Selon le rapport de SolAbility, il s’agirait de « la capacité d’un pays à répondre aux besoins et aux exigences fondamentales des générations actuelles tout en maintenant ou en augmentant la richesse nationale et individuelle dans l’avenir sans épuiser le capital naturel et social ». A la question initiale, on aurait donc tendance à répondre oui.

Pourtant la COP25, qui s’est tenue à Madrid début décembre 2019, a dévoilé l’Indice de performance du changement climatique 2020 (Climate Change Performance Index 2020 pour CCPI) et celui-ci est très mauvais pour le Japon [7]. Le CCPI  « est un outil de suivi indépendant de la performance des pays en matière de protection du climat » visant à « améliorer la transparence de la politique climatique internationale » et permettant de « comparer les efforts de protection du climat et les progrès réalisés par les différents pays », selon quatre catégories que sont les émissions de gaz à effet de serre, les énergies renouvelables, l’utilisation de l’énergie et la politique climatique. Dans ce classement, le Japon occupe la 51e place (sur 61, la dernière place étant détenue par les États-Unis), score qualifié de « très faible », alors même que la Chine se positionne à la 30e place derrière la France 18e, deux scores qualifiés de « moyens ».

Ces données contradictoires rendent encore plus illisibles la place du Japon dans la lutte contre le réchauffement climatique. Selon le CCPI toujours, la politique climatique japonaise serait trop peu élaborée (56e/61) alors que la politique climatique chinoise se classe parmi les plus développées (10e/61) juste derrière celle du Danemark (9e/61) et devant celle de la France (11e/61). A grand pollueur grands moyens pourrait-on dire…

Une stratégie environnementale minorée ?

On l’a vu, le Japon mène tout de même des actions en faveur de l’environnement aussi bien dans les pays de l’ASEAN, qu’en Inde ou en partenariat avec l’Europe. Pourtant, on peut se demander si cette stratégie n’est pas un motif politique pour le gouvernement japonais dans sa quête de leadership en Asie, face à une Chine toujours plus compétitive. Ces partenariats précédemment évoqués avec l’ASEAN, l’Inde ou encore l’Union Européenne sont avant tout un moyen de contrebalancer l’influence de la Chine dans la région. Pour les Européens, il s’agit de contrer l’initiative chinoise Belt and Road qui bloque les entreprises européennes en Asie. Dans la région indo-pacifique, les Japonais, les Indiens et les Australiens sont particulièrement inquiets tandis que la Chine a unilatéralement construit et militarisé des îles artificielles dans la mer de Chine méridionale, et que la marine chinoise a étendu son empreinte au Sri Lanka, au Bangladesh et au Myanmar, ainsi que son influence au Pakistan et à la mer d’Oman [8]. Le Japon a perdu le leadership de l’Asie depuis que l’Empire du Milieu s’est élevé et est devenu la seconde puissance économique derrière les États-Unis. La crainte de l’avènement d’un condominium sino-américain est particulièrement prégnante, d’autant plus que le Japon ne peut plus compter sur le soutien de son allié américain pour regagner le leadership asiatique depuis que le Président Trump a décidé de se retirer de l’Accord de Partenariat Transpacifique (TPP), obligeant les signataires à élaborer un nouveau texte connu sous le nom de Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP). Inutile de rappeler que c’est le même Trump qui a décidé de retirer les États-Unis des Accords de Paris. Bref, l’environnement et la survivance de la planète c’est important, mais dans l’immédiat, pas aussi important que l’enjeu politique majeur qui déchire la région asiatique : le leadership chinois.

Une stratégie sino-japonaise en devenir ?

Malgré tout, on peut tenter d’imaginer (difficilement certes) une approche conjointe du Japon et de la Chine pour s’attaquer à la question écologique. Le forum public-privé sur les économies d’énergie et l’environnement qui s’est tenu en décembre 2019 pourrait en témoigner, confirmant la volonté bilatérale de coopérer sur des projets de développement durable en Asie. A cette occasion, le Directeur adjoint de la Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme a d’ailleurs affirmé que la Chine prendrait des mesures fiscales pour stimuler le développement des industries vertes [9]. Ce sujet pourrait plus largement être repris et détaillé lors de la venue du Président chinois Xi Jinping au Japon, en début d’année 2020 : une venue censée donner le jour à un « cinquième document » (fifth document), formalisant la relation sino-japonaise, dont un des piliers devrait être (espérons-le) la protection de l’environnement pour un avenir, non pas plus radieux, mais un avenir tout court.

Lucile Landais


Illustration réalisée par Paul Meslet


[1] Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Consultable sur : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/fin-des-sacs-plastique-usage-unique-daction

[2] La National Geographic reprend des statistiques éditées par la University of California de Santa Barbara et le Forum Économique Mondial. Disponible sur : https://www.nationalgeographic.com/news/2018/05/plastics-facts-infographics-ocean-pollution/

[3] Celle-ci ne s’applique pas aux marchés de nuit.

[4] Selon les termes de Elliot SILVERBERG AND Elizabeth SMITH pour The Japan Times. Disponible sur : https://www.japantimes.co.jp/opinion/2019/11/12/commentary/japan-commentary/japan-global-environmental-strategy/#.XfDm–hKjIU

[5] Disponible sur : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

[6] Disponible sur : http://solability.com/the-global-sustainable-competitiveness-index/the-index

[7] Disponible sur : https://www.climate-change-performance-index.org/climate-change-performance-index-2020?fbclid=IwAR2d2w6WsUVR5ONBo5MZ7boC13O0IkRbTXWNTbNymYPO5iRB6GFSbLsE-4U

[8] Yujen KUO, Japan’s Roles in the Indo-Pacific Strategy. Disponible sur : https://www.pf.org.tw/files/6236/8B3BC62D-6F19-4E23-8D96-3BBC3042464F

[9] Rapporté par Kyodo JIJI pour The Japan Times. Disponible sur : https://www.japantimes.co.jp/news/2019/12/08/national/800-japanese-chinese-take-part-public-private-meet-focusing-saving-energy-environment/#.XfDnOehKjIU

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