Le crâne rasé chez une femme, un tabou ?

« « Un homme rasé peut être sexy, une femme chauve sera toujours malade » pense Sarah. » » Pourquoi cette pensée d’une des protagonistes de La Tresse est-elle partagée par de nombreuses autres personnes et reflète l’importance symbolique de la chevelure, en particulier chez la femme actuellement ? La citation du roman évoquée suggère que la chevelure chez une femme est condition de sa beauté, de sa féminité. En affirmant cela, on pense qu’une femme chauve ne peut être que malade et ne peut pas être belle. Un crâne rasé ne peut pas être un vrai style, une mode. Il est symbole de faiblesse et de perte d’identité. Perdre ses cheveux c’est paraitrait-il, se perdre soi. Se perdre soi de diverses manières : en perdant sa féminité, sa crédibilité, sa dignité. La calvitie, avant tout chez la femme, est porteuse de symbolique négative.

La Tresse, un roman sur la trajectoire des cheveux et sur les femmes du monde

En lisant cet ouvrage de Laetitia Colombani, publié en 2018, on découvre un hommage aux combats quotidiens des femmes mais on y observe surtout l’importance de la chevelure, quelles que soient son origine, sa religion et ses convictions. La Tresse est le premier roman de Laetitia Colombani, également actrice et réalisatrice. Dans une interview chez RTL, Laetitia Colombani affirme que l’idée de son roman lui est venue d’un documentaire qu’elle a visionné il y a une dizaine d’années sur l’Inde et d’une de ses amies malade ayant eu besoin d’une perruque. Elle dit avoir voulu faire le lien entre le commerce indien du cheveu et la maladie tout en rendant honneur aux combats quotidiens des femmes du monde entier.

L’autrice brosse le portrait de trois femmes : Smita, une maman indienne, Giulia une jeune italienne et Sarah, une grande avocate canadienne. Ce qui les lie : les cheveux. La première va les donner en offrande au dieu Vishnou en échange de bonne fortune, la deuxième en fera son métier, tandis que la troisième va les perdre à cause de la maladie. Les cheveux, dans ce roman, sont féminité, force et dignité.

Les cheveux, une symbolique forte mais différente pour chacune

S’ils sont signe de faiblesse physique chez Sarah, les cheveux symbolisent chez Smita la nudité. Les donner c’est renoncer à une force pour l’offrir à un dieu. En Inde, il existe un véritable commerce du cheveu autour de ce rite sacrificiel. Les Indiens offrent leur cheveux à plusieurs dieux lors d’événements particuliers dans leur vie ou dans des moments de détresse. Ce sacrifice pour beaucoup d’Indiens pauvres est la preuve de leur désespoir et de leur grande croyance. Il montre l’importance de la symbolique sacrée. Comme indiqué dans le roman « C’est une tradition ancestrale millénaire : faire don de ses cheveux, c’est renoncer à toute forme d’égo, accepter de se présenter à dieu dans son apparence la plus humble, la plus nue. » Les cheveux recueillis sont ensuite vendus aux enchères et le bénéfice tiré peut être utilisé pour la création d’écoles ou de dispensaires aux alentours des temples. Smita donne, elle, ses cheveux dans l’espoir d’échapper à son destin d’Intouchable. Les Intouchables (ou Dalits) sont une des classes les plus pauvres en Inde. Cette partie de la population est soumise le plus souvent à des tâches ingrates comme vider les latrines des maisons des plus aisés en échange d’argent ou de nourriture. Smita ne sait ni lire ni écrire, elle ne peut échapper à son destin misérable et désire un avenir différent pour sa fille, Lalita. Afin de mener à bien son objectif elle fuit son village pour se réfugier près d’un temple dans la ville de Tirupati. N’ayant pas d’argent ni de bien à offrir au dieu Vishnou, elle décide, comme beaucoup d’autres, de se raser le crâne et de donner ses cheveux. De cette manière, beaucoup d’Indiens espèrent être récompensés de leur grand et ultime sacrifice : celui qui les présente dans la plus grande simplicité.

D’autre part, en Inde, le cheveu en dit beaucoup sur chacun. Souvent, les cheveux nattés chez une femme sont symbole de soumission par rapport à un mari car les cheveux détachés sont synonyme d’impudicité et sont réservés aux moments intimes avec ce dernier.

Pour Giulia, le cheveu est une source économique, matière première servant à fabriquer des perruques. L’existence de cette activité montre que, dans notre société, si l’on n’a pas de cheveux ou s’ils ne nous conviennent plus, on s’en fabrique dans la plupart des cas. On ne conçoit pas bien le fait de pouvoir vivre sans cheveux. Les cheveux sont aussi un marqueur de personnalité, d’identité. Comme on peut le lire dans le roman : « Les Italiens veulent des cheveux d’italiens. » Ceci s’explique par le fait que nos cheveux marquent aussi une appartenance, une identité. Ils nous définissent. Les caractéristiques des cheveux diffèrent selon nos origines. De plus, les perdre ou les enlever mène à la marginalisation de soi. En effet, la société nous impose, par exemple à travers la publicité ou la télévision, l’idée qu’une femme doit avoir les cheveux longs et soignés et paradoxalement ne doit pas être poilue pour entrer dans les normes de la féminité.

Dans le cas de la maladie, comme on peut le voir avec l’exemple de Sarah, perdre ses cheveux c’est l’étape qui vous présente officiellement aux autres comme malade et qui vous exclue de la société car vous n’êtes plus valide. Dans le roman, on observe petit à petit comment Sarah est rejetée de son travail à cause de sa maladie. La perte des cheveux représente la perte de sa crédibilité dans le monde du travail.

L’importance du cheveu au fil des époques, entre mythes, histoire et actualité

L’importance de la chevelure ne date pas d’aujourd’hui. Cette préoccupation et cette surestimation du cheveu remonte à bien longtemps. Dans les mythes, qu’ils soient grecs ou mêmes bibliques, on peut déjà y observer sa valeur.

Durant l’Antiquité les cheveux étaient déjà très valorisés à travers l’image des déesses et des dieux grecs par exemple et étaient également donnés en offrande. Les cheveux faisaient la force et la beauté.

Plus tard, dans l’Ancien Testament (ou Livre des Juges), on trouve aussi l’exemple de Samson, héros nazir, et Dalila. Un héros nazir est une personne dévouée à Dieu qui pendant trente jours doit faire preuve d’une grande pureté : parmi les interdictions qui lui sont données : celle de se couper les cheveux. Samson a pour mission de délivrer Israel des Philistins, et possède une force singulière qui lui vient de sa chevelure. Cette dernière lui permet de gagner tous ses combats. Dalila, envoyée par les Philistins pour vaincre Samson est celle qui lui coupera ses tresses et qui lui fera perdre toute sa force et sa pureté.

Avant tout durant la monarchie absolue, les cheveux étaient aussi un symbole de puissance. Les rois et les reines portaient de longues et soyeuses perruques ou autres coiffes qui variaient selon les styles et les époques. Cela leur donnait du charisme et de la puissance vis à vis du royaume. Par exemple, Louis XIV, atteint du typhus de Calais perdit ses cheveux. Il décida alors de porter la perruque, très fier de son ancienne chevelure. A partir de ce changement physique, on a pu observer une généralisation de la perruque chez les seigneurs malgré le désamour du roi soleil pour celle-ci. La perruque était vue comme une obligation pour lui, une simple solution pour cacher son crâne nu.

A cette époque l’aspect des cheveux en disait long sur l’appartenance sociale de chacun. La longueur du cheveu était un indicateur de rang social. Ainsi, la calvitie était vue comme un symbole de misère. Les moines, eux, étaient chauves « par choix » pour montrer leur servitude à Dieu. On retrouve ici, sous certains aspects, le cas de Smita qui donne sa chevelure en offrande au dieu Vishnou. Son futur prospère dépend pour elle de ce sacrifice. Ainsi, chevelure et religion semblent très proches symboliquement.

La chevelure ou le port d’une coiffe parait représenter depuis longtemps la force et la dignité. Le crâne nu, surtout chez la femme, est quant à lui, plutôt toujours associé à la faiblesse, la nudité, ou la servitude.

Aujourd’hui, ces idées sont ancrées inconsciemment dans nos moeurs. En revanche, elles touchent essentiellement les femmes. La femme, pour beaucoup encore, est essentiellement vue comme un objet esthétique et sexuel. De cette manière, ses cheveux lui sont symboliquement importants. Effectivement, c’est ce qui malheureusement, marque son genre, son identité.

D’autre part, à plusieurs époques, la tonte des cheveux chez les femmes était utilisée comme châtiment. Particulièrement, de 1944 à 1945, cette punition était utilisée contre de nombreuses femmes. Dans la France « virile », l’historien F. Virgili ne manque pas de rappeler que l’épuration marque le basculement soudain entre l’Occupation et la Libération. Accusée de « collaboration horizontale » ou « féminine », certaines femmes sont les premières cibles de la vindicte populaire. Plus de 20 000 sont tondues lors de l’été 1944, où règne alors une confusion entre justice et vengeance. Les femmes accusées de près ou de loin de collaboration avec les nazis (relation amoureuse avec un nazi, délation, etc.) étaient tondues. Ces tontes se faisaient sous forme de démonstrations publiques par des civils, et le plus souvent, par des hommes. Il s’agissait en fait de véritables humiliations publiques. Le fait de tondre ces femmes était vu comme une dé-féminisation encore plus qu’une déshumanisation. En effet, raser le crâne des hommes n’aurait pas eu le même impact, n’aurait pas envoyé le même message. Un crâne nu chez un homme est accepté en tant que style ou peut aussi faire référence à son engagement dans l’armée. Plusieurs interprétations sont données pour justifier ces actes envers les femmes. Par exemple, tondre leuro chevelure était perçu comme une manière symbolique de leur retirer leur pouvoir d’attraction et marquer leur(s)« faute(s) » et les «purifier » de leusr péchés. Le crâne rasé faisait référence à la souillure. Ainsi, la nécessité d’avoir des cheveux, surtout chez les femmes, s’est installée dans les codes sociaux à tel point qu’aujourd’hui on peine à se dire qu’une femme qui a le crâne rasé est une femme qui l’a choisi par réelle envie, par souci esthétique.

Le cheveu chez la femme, en devenir

Pourtant, des mouvements récents de femmes de divers milieux ont encore été menés pour combattre ce cliché. C’est le cas de la youtubeuse Gaëlle Garcia Diaz qui s’est tondue les cheveux en soutien à sa belle-sœur, malade d’un cancer, dans l’objectif de prouver que la féminité ne passait pas par une longue chevelure. Récemment, la chanteuse Chris, anciennement Christine and The Queen, au moment de la création de son nouvel album a aussi changé de style et s’est coupé les cheveux très courts. Ce changement physique et identitaire a provoqué plus de réactions que la sortie de son nouvel album dans les médias. Cela démontre l’obsession collective actuelle pour l’image que chacun renvoie, pour les critères de beauté et de féminité. L’intérêt n’est plus que superficiel. Avant de juger une artiste pour ses créations on la juge aujourd’hui pour son physique, pour les normes qu’elle remplit ou non. On peut oser penser qu’un jour, grâce à de telles actions, le crâne rasé sera un style accepté et féminin et non un signe de maladie, d’humiliation, de soumission, de faiblesse, ou surtout de marginalisation.

Clémentine Miquelot

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