Pour l’égalité des plaisirs

En septembre dernier, la sociologue et politologue Jeannine Mossuz-Lavau publiait, 16 ans après sa première enquête sur le sujet, La vie sexuelle en France. Elle y constate une libération de la parole sur la sexualité. Internet apparaît comme l’un des vecteurs principaux de ce changement. Pour certains, ce foisonnement d’images et de propos, pour partie libérés de la censure, s’avère désacralisant parce que le sexe est précieux et intime. Pour autant, il est aussi sociétal, et les discours d’ordres médical, juridique, psychologique, en lien avec notre vie sexuelle, ont le mérite de mettre à jour un constat probant : les femmes ne sont toujours pas égales aux hommes en matière de sexualité. Elles portent en effet le fardeau de la contraception. Leur nombre de partenaires reste sujet à un jugement aussi sévère qu’illégitime. De manière générale, la recherche du plaisir charnel reste considérée comme une caractéristique masculine. Lorsqu’elle est assumée chez une femme, encore davantage sur internet, c’est la porte ouverte aux insultes. La femme doit être plus douce, plus pure. Mais à la charnière des discours scientifique et féministe, un nouveau terrain de lutte émerge : celui de la répartition des plaisirs dans les rapports hétérosexuels. La sexualité, en tant qu’élément central des rapports hommes-femmes, est donc un espace où l’égalité est encore à conquérir.

Le sujet se fait de plus en plus visible. En témoignent les plus de 300 000 abonnés du compte instagram @tasjoui créé en août dernier par Dora Moutot. Il répertorie notamment des témoignages de femmes sur leur non-jouissance. La journaliste explique l’avoir lancé après une discussion avec un homme qui lui affirmait que les femmes jouissent moins souvent que leurs partenaires parce que la jouissance féminine serait plus cérébrale, plus sentimentale. Le succès de ce compte a été fulgurant et un simple coup d’œil aux commentaires, autant qu’un bref sondage dans son entourage féminin proche, suffit à comprendre que dans nombre de relations, il subsiste un réel décalage des plaisirs. Une forme d’exaspération succède pour beaucoup à la prise de conscience. On désigne ce déséquilibre des plaisirs par l’expression d’orgasm gap.

Le mythe de la difficile jouissance féminine

Le premier signe d’une inégale jouissance est en fait évident : le plus souvent, le rapport prend fin avec l’éjaculation masculine, sans nécessairement que la femme ait-elle même atteint l’orgasme. Il paraîtrait exagéré de considérer que ce fossé de la jouissance puisse être uniquement imputé aux hommes. Cela sous-entendrait qu’ils ne rechercheraient dans les rapports sexuels que leur plaisir propre. Le véritable problème vient de l’écueil inverse et des idées reçues sur le plaisir féminin.  Non, l’orgasme féminin n’est pas, en soi, plus mystérieux ni plus inatteignable que l’orgasme masculin. Il s’agit d’une idée socialement construite, qui va probablement de pair avec une méconnaissance du corps féminin, comparativement avec les représentations ultra répandues du sexe masculin. La difficulté de la jouissance féminine semble ainsi bien plus imputable à la normalisation de nos rapports par des conceptions phallocentrées qu’à la nature féminine. Non, l’homme n’est pas plus animal, ni plus naturellement tourné vers le sexe. Le plaisir féminin est simplement plus tabou, encore de nos jours.

Free the clitoris

La libération de la parole sur le plaisir féminin porte sur son organe roi : le clitoris. Si l’on connaît apparemment son existence depuis des siècles, sa représentation anatomique n’est apparue pour la première fois dans un manuel scolaire qu’en 2017. [1] Cette méconnaissance, par les hommes, mais aussi par les femmes, a mené à divers mythes, et en premier lieu celui selon lequel les femmes seraient soit clitoridiennes, soit vaginales. Au regard de l’anatomie, toute personne dotée d’une libido et d’un clitoris est, a priori, clitoridienne. En réalité, le plaisir que les femmes peuvent tirer de la pénétration vient aussi de cet organe, dont la partie interne entoure le vagin. Le mystérieux point G, de même, est en fait une zone où la stimulation interne du clitoris est réputée particulièrement efficace. Il n’empêche que la stimulation la plus directe du plaisir féminin est externe, alors même que l’on ne considère toujours pas l’acte sexuel comme véritable lorsqu’il se passe de la pénétration. Tout ce qui touche à la sexualité hors pénétration est relayé au rang de « préliminaire ». Nos normes sexuelles sont en majorité issues de visions biaisées, ou en tout cas majoritairement misogynes, de l’acte sexuel (en premier lieu dans la pornographie). On ne saurait donc que rappeler l’importance de la promotion d’une sexualité positive dans les espaces où le discours peut être le plus libéré. Pour redonner à la jouissance féminine la place qui lui incombe, il s’agit d’abord de briser le tabou qui l’entoure et de déconstruire les normes qui le freinent.

De l’importance de relativiser l’orgasme

Le courant de la sexualité positive, qui accompagne la libération de la parole sur le plaisir féminin, diffuse aussi l’importance de relativiser l’injonction de jouir. La culpabilisation ne doit pas plus peser sur ceux qui ne jouissent pas que sur ceux qui jouiraient « trop ». En effet, l’orgasme n’est pas une fin en soi. Il n’est chez personne le seul indicateur du plaisir. Chercher à l’atteindre à tout prix peut constituer un frein à l’épanouissement. Ainsi, plus que l’orgasm gap, ce qui pose réellement  problème et doit soulever les consciences, c’est le pleasure gap. Lorsque l’un des partenaires est systématiquement plus bénéficiaire que l’autre, il convient de rétablir la communication. Avant tout, une sexualité épanouie implique donc se défaire de toute logique compétitive et de se rappeler que la dimension quantitative importe peut-être moins que la dimension qualitative. Ou plutôt de se rappeler que l’on est libre de choisir, mais que l’approbation du ou de la partenaire ne concerne pas que le consentement. Le choix partagé des pratiques et la satisfaction finale, à détacher de l’idéal quelque peu utopique de l’orgasme simultané, doivent être remis au rang de préoccupation centrale. Si la communication ne va pas de soi pour tous sur un sujet aussi intime, elle peut se détacher des mots pour s’appuyer sur l’attention portée à l’autre. Le plaisir est quelque chose qui se voit et surtout qui se sent. Enfin, malgré sa dimension mécanique, le sexe implique des individus qui ne sont jamais semblables, et dont ni le désir ni le plaisir ne doivent jamais être tenus pour acquis.

Adèle Bonnemains

[1] Manuel de Sciences et Vie de la Terre paru aux éditions Magnard en 2017

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