« Je ne suis pas féministe, mais… »

« Nous, les femmes, nous sommes la moitié du ciel et même un peu plus. Nous entendons être la moitié de tout, pas vos moitiés, la moitié de tout et surtout, surtout, être au moins la moitié partout où se prennent les décisions. Le monde qui vient devra s’habituer partout à la présence partout, la présence forte de nos filles, de vos filles. »

C’est à l’ancienne gardienne des Sceaux et ministre de la Justice sous la présidence de François Hollande, Madame Christiane Taubira, que nous devons cette affirmation datée de 2017. Mêlant tonalité polémique et élégiaque, ces quelques mots permettent d’emblée de rappeler que la place des femmes dans la société et dans le monde ne peut pas, ou ne peut plus être ignorée. Ainsi, suscitant enthousiasme ou lassitude, mais toujours de vives réactions, la question du féminisme est plus que jamais au coeur des débats depuis quelques mois. On ne peut échapper aux réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias liées au harcèlement sexuel, et à la question des droits des femmes placée cause nationale du mandat Macron. En résulte l’utilisation récurrente du terme « féminisme », ce mouvement social en faveur de l’égalité entre hommes et femmes du point de vue politique, juridique et social. Si cette dernière définition semble inscrite dans tous les manuels scolaires ou les dictionnaires, sachons que tout est bien plus compliqué.

Le féminisme, c’est quoi ?

Rappelons d’abord que c’est en France que le terme est employé pour la première fois sous la plume d’Alexandre Dumas fils en 1872 dans L’homme-femme, et emprunté à un néologisme médical désignant un défaut de virilité, ou un défaut du développement chez un être masculin. Le mot qualifie donc des hommes d’apparence féminine, mais l’écrivain l’utilise pour désigner de façon péjorative la masculinité des “féministes” qu’il évoque. Toujours est-il que ce terme tire son origine de l’altérité entre des êtres masculins et féminins, laquelle se réduit sous l’action d’individus dits “féministes”.

Le discours féministe s’est élaboré au cours des siècles, en particulier suivant trois vagues distinctes. La première est surtout liée à la quête des droits civiques et civils, et à l’éducation féminine. Elle prend ses racines à la Renaissance avec l’appui d’hommes comme François Poulain de La Barre, par exemple, reconnaissant l’égalité intellectuelle au XVIIe siècle, car “l’esprit n’a point de sexe” ( De l’égalité des deux sexes. Discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, 1673). La Révolution Française marque également un tournant dans la lutte pour les droits des femmes avec le pamphlet Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui mènera son autrice Olympe de Gouges droit vers l’échafaud. Les mouvements féministes prennent de l’ampleur à partir du XIXe siècle, notamment grâce à la romancière George Sand, républicaine et socialiste convaincue (mais voyant dans le féminisme une menace à la cause des droits civils, prioritaires selon elle), et Flora Tristan qui compare le sort des femmes à celui des esclaves dans la société du XIXe siècle ( Pérégrinations d’une paria, 1837).

La deuxième vague, au XXe siècle, correspond à la conquête de liberté, notamment sexuelle et à l’affranchissement de la domination masculine. Elle s’accompagne d’un relâchement des moeurs, et à des victoires non négligeables comme l’autorisation de la pilule, le droit de vote et à l’avortement, notamment grâce à l’action d’icônes telles que Simone de Beauvoir et Simone Veil. La troisième vague, à partir des années 1980, est partie des Etats-Unis pour porter les intérêts des femmes de groupes minoritaires.

Plusieurs féminismes : pour qui ?

Aujourd’hui, le féminisme est multiple, tant par les femmes et les hommes qui le défendent que par son contenu. Pourtant, on aime à associer tous les féministes aux mouvements les plus radicaux, en tentant ainsi vainement d’en faire un bloc homogène, de prêter aux militants des valeurs qu’ils n’ont pas et des thèses qu’ils ne soutiennent pas. Mais l’erreur ne devient pas vérité en se multipliant. Car qui peut encore affirmer qu’être féministe, c’est mener une guerre contre les hommes? Qu’être féministe, c’est nier la différence naturelle entre les hommes et les femmes? Qu’être féministe, c’est être du côté du discours moralisateur plutôt que du discours bienveillant?

Cette première série d’articles se donnera comme objectif de cerner, d’analyser, de construire et de déconstruire ce qu’est le féminisme et ce qu’il n’est pas, en convergeant nécessairement vers l’idée selon laquelle ce mouvement ne peut se penser qu’au pluriel. C’est donc munis de quelques livres d’histoire et de philosophie politique, mais aussi de quelques thèses sociologiques, et en se référant au maximum à l’actualité que nous rédigerons ces articles.

Enfin, nous proposerons une seconde série d’articles, répertoriant des propositions, des arguments pour “enrichir”, à notre échelle, la rhétorique féministe: car le féminisme n’est pas figé et ne le sera jamais. Nous élargirons notre réflexion en étudiant la situation hors de France. Des interviews, des photos et des sondages d’hommes, de femmes et de non-binaires n’échapperont pas non plus au corps de cette seconde série d’articles: car la question de l’égalité femme/homme n’est pas “qu’une affaire de femmes”, mais bien un enjeu de société.

Chloé Godin et Victoria Delaunay

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