Internet, le nouveau terrain de lutte pour les militants

Internet, cet outil formidable qui nous donne un accès presque quasi illimité au reste du monde, a progressivement soumis chacune de nos habitudes à ses caractéristiques. Que ce soit pour le relationnel, le professionnel, l’information ou les connaissances, rien n’échappe à internet, même les vices les plus malsains qui empoisonnent l’humanité. Mais internet c’est aussi un pouvoir, et les militants l’utilisant comme une sorte de pupitre de conférence ouvert sur le monde l’ont bien compris.

Internet et l’enjeu de la visibilité politique

Internet comme champ de bataille politique, cela ne date pas d’hier. Quelques temps après sa création, des personnes s’étaient déjà appropriées cet outil, dont ils avaient saisie le pouvoir, pour détourner les lois juridiques en créant le deep web. Bien que surtout connu pour ses nombreuses activités illégales, le deep web joua un rôle important dans les mouvements révolutionnaires du monde grâce à la complexité de son cryptage qui permit aux militants de communiquer et diffuser des informations anonymement.

Aujourd’hui, les militants ne sont plus simplement dans la rue ou cachés dans les tréfonds d’internet, mais ils sont quasiment présents sur toutes les plateformes de communication et de diffusion numérique, à commencer par les réseaux sociaux. Twitter est devenu LE réseau social de référence des militants. Créé en 2006, il permet aux internautes de partager de courts messages (des tweets dans le jargon de Twitter) limités à 280 caractères. Les internautes ont la possibilité de réaliser une suite de tweets afin de créer un fil (thread en anglais) grâce auquel ils partagent des histoires ou, comme dans le cas des militants, leurs revendications. Se voulant instructifs, les différents threads militants permettent de relayer les moments historiques d’un mouvement politique, de saisir l’enjeu et l’importance des différentes problématiques propre à une idéologie, mais aussi simplement de partager sa perception de la lutte et d’enrichir le débat.

Mais Twitter n’est pas la seule plateforme ayant connu l’émergence de la parole des militants. En effet, bien que Youtube regorge en majorité de tutos beautés et vidéos humoristiques, un petit groupe croissant de militants s’est peu à peu approprié la plateforme. On peut y voir Carolina, de la chaîne La Carologie, nous définir la culture du viol ou le sexisme intériorisé dans sa série de vidéo « La semaine antisexiste », Clem’ de la chaîne Keyholes & Snapshots nous parler de négrophobie et d’afroféminisme, ou encore Emy de la chaîne Antastesia nous expliquer les enjeux politiques du véganisme.

Que ce soit sur Twitter ou Youtube, les réseaux de partage et de diffusion numérique ont permis d’élever la voix des militants, leur donnant l’opportunité d’ouvrir le débat afin d’inciter à la remise en question de nos choix et notre perception du monde, et de nous politiser.

Trop de liberté d’expression tue la liberté d’expression ?

Toutefois, la capacité d’internet à nous isoler du monde réel, bien qu’elle le reflète en partie, peut donner l’illusion d’être intouchable au point de ne se fixer absolument aucune limite, quitte à prôner une liberté d’expression et d’opinion quasi absolue.

Cette liberté d’expression sans limite est revendiquée par des militants aux idées extrémistes, pas toujours pris au sérieux et même considérés comme de simple trolls, qui véhiculent des idées teintées de haine raciale ou de genre sous couvert d’anonymat. Le plus connu d’entre eux est le Raptor Dissident, à l’origine de la vague de harcèlement dont fut victime Marion Seclin à cause du septième épisode de sa série de vidéo « Expliquez moi cette merde. » Et il n’est malheureusement pas le seul : Le Lapin Taquin, Valek Noraj ou encore Sanglier Sympa possèdent cette même ligne éditoriale qui consiste à décrédibiliser les mouvements considérés de gauche, comme l’antiracisme ou le féminisme.

Internet est donc devenu peu à peu un lieu d’insécurité pour un grand nombre de militants qui subissent, comme Marion Séclin, du harcèlement en ligne dont ils et elles sont spécifiquement la cible. Ce fut notamment en 2017 le cas de la féministe Buffy Mars, après un malheureux tweet dans lequel elle dénonce le comportement d’un technicien d’Orange qu’elle jugea indécent. Plus récemment, il y a eu le #Sparadrapgate de la militante antiraciste et afroféministe Rokhaya Diallo dont chacune des prises de paroles sont sujettes aux moqueries et au cyber-harcèlement de la part de ses détracteurs, ou encore la journaliste Nadia Daam, l’une des rares victimes de cette violence numérique à avoir saisie la justice pour « menace de mort et de viol » contre deux de ses nombreux harceleurs. Si le verdict n’a pas encore été rendu, son cas permet de comprendre qu’internet n’est pas et ne doit pas devenir un lieu où la violence est tolérée et ses auteurs impunis.

Conclusion

Internet est donc un outil de communication efficace qui facilite la propagation d’idéologie politique, offrant une plateforme à chaque citoyen engagé dans une lutte qui lui tient particulièrement à cœur. Néanmoins, s’il permet d’augmenter leur audience et leur impact, il augmente aussi la mise en danger de leur propre personne. L’anonymat de leurs détracteurs leur donne la sensation d’être invulnérable et donc de pouvoir braver toutes les règles basiques de savoir-vivre auxquelles ils ne peuvent échapper en dehors d’internet. Paradoxalement, en donnant la parole à tous et surtout à tous les militants quel que soit leur bord politique, le cyberactivisme enrichit autant qu’il appauvrit le débat en légitimant la parole de ceux qui accompagnent leurs contre-arguments sophistes d’insultes et de menaces en tout genre.

Christie Kainze-Mavala

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