Le conflit israélo-paléstinien : des origines jusqu’aux tensions actuelles

La victoire d’Israël au concours de l’Eurovision, le 12 mai dernier, a provoqué une vague de réactions indignées, au moment où le conflit israélo-palestinien connaît un important regain de violence avec la répression des manifestations pacifiques des Palestiniens de Gaza.

L’État d’Israël n’existe que depuis 1948, et les origines de sa création peuvent paraître floues. Or, il est difficile de comprendre le conflit israélo-palestinien si on ne comprend pas le contexte de la création d’Israël, et le rôle que les puissances occidentales ont joué. Lors de la Première Guerre mondiale, la Triple-Entente doit notamment lutter contre l’Empire ottoman, présent au Moyen-Orient, et manipule pour cela les populations arabes présentes sur la péninsule Arabique. La Grande-Bretagne promet la création d’un État arabe unifié de la Syrie au Yémen, en échange de la révolte arabe qui a lieu de 1916 à 1918. Pourtant dans le même temps, la France et la Grande-Bretagne signent les accords Sykes-Picot prévoyant le partage du Moyen-Orient en différentes zones d’influence au profit des grandes puissances européennes, ce qui est donc contraire avec la promesse d’un État arabe unifié. Enfin, en parallèle, le secrétaire britannique des affaires étrangères écrit son soutien à Lord Lionel Walter Rothschild, Juif britannique et financier du projet sioniste, aujourd’hui connu sous le nom de la déclaration Balfour de 1917. Les intentions des puissances occidentales vis-à-vis du Moyen-Orient sont donc floues et contradictoires avant même la fin du conflit européen. Une fois la guerre terminée, les Français obtiennent un mandat sur la Syrie et le Liban, et la Grande-Bretagne sur la Palestine, dans le but de mettre en place un État juif sur 56% du territoire palestinien et un État arabe sur le territoire restant. La population arabe rejette le projet sioniste et réclame son indépendance territoriale, ce qui mène à des protestations, des manifestations, etc. La révolte arabe de 1936-1939 a pour réclamation la fin du mandat britannique sur la Palestine, la création d’un État arabe indépendant sur tout le territoire et la fin de l’immigration juive sioniste. Cette révolte est réprimée violemment par les Britanniques, et une milice sioniste de droite organise de son côté de nombreux attentats. Cela aboutit au démantèlement des forces paramilitaires arabes et à l’arrestation ou l’exil de ses dirigeants, ainsi qu’au renforcement des forces paramilitaires sionistes avec le soutien des Britanniques.

En 1947, l’Organisation des Nations Unies propose un plan de partage de la Palestine entre un État juif, un État arabe et Jérusalem, sous le contrôle international. L’année suivante marque la proclamation de l’État d’Israël, ce qui a pour conséquence l’expulsion de Palestiniens par l’armée israélienne, un exode connu sous le nom de El Nakba (la catastrophe). Les réfugiés palestiniens s’installent dans des camps de réfugiés principalement en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Israël obtient ensuite plus de territoire avec la Guerre de Six Jours en 1967, contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie, une guerre déclenchée par le blocus des navires israéliens par l’Égypte. En une semaine, l’armée israélienne écrase les pays arabes, et prend à l’Égypte la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï, à la Syrie le plateau du Golan et à la Jordanie la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Aujourd’hui encore, Israël est présent sur le plateau du Golan et dans Jérusalem-Est, et dans une partie de la Cisjordanie. A l’issue de la guerre, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 242 qui exige la fin de l’occupation militaire, et qui n’est toujours pas respectée à l’heure actuelle. C’est en 1987 qu’a lieu la Première Intifada, le soulèvement de la population palestinienne contre l’occupation israélienne, qui dure jusqu’aux accords d’Oslo de 1993 qui marquent la reconnaissance mutuelle d’Israël comme entité politique ayant le droit à la paix et à la sécurité, et de l’Organisation de Libération de la Palestine (mouvement de résistance armée) comme interlocuteur diplomatique. Le processus d’Oslo investit notamment l’Autorité nationale palestinienne, qui administre les habitants arabes de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Elle représente officiellement, depuis 2013, l’État de Palestine. Mais ces accords sont un échec, notamment du fait de la duplicité de l’ancien Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou , qui déclare en 2001 (sans savoir qu’il était enregistré) :

« J’interpréterai les accords de telle manière qu’il sera possible de mettre fin à cet emballement pour les lignes d’armistice de 67. Comment nous l’avons fait ? Personne n’avait défini précisément ce qu’étaient les zones militaires. Les zones militaires, j’ai dit, sont des zones de sécurité ; ainsi, pour ma part, la vallée du Jourdain est une zone militaire. »

Le début des années 2000 voit donc se dérouler la Seconde Intifada sur le territoire palestinien, des émeutes sévèrement réprimées par l’armée israélienne. On compte dès les premières semaines une centaine de morts côté arabes et palestiniens. Puis le Hamas, mouvement de résistance islamique demandant la destruction de l’État d’Israël, puisque son existence est considérée illégitime, lance une campagne d’attentats-suicides. La réponse israélienne est l’opération Rempart, qui consiste au déploiement de l’armée israélienne dans les territoires palestiniens autonomes de Cisjordanie. On peut retenir un épisode particulièrement violent, l’assaut de l’armée israélienne contre le camp de réfugiés de Jénine, pour « rechercher des membres d’organisations terroristes. » Un quartier du camp est totalement détruit par les bulldozers israéliens, et Shimon Pérès, homme d’État israélien, qualifie l’opération de « massacre » dans le journal israélien Haaretz. La date de fin de cette Seconde Intifada est très contestée, puisque certains prennent comme repère l’année 2005 et le désengagement militaire d’Israël à Gaza, mais d’autres (comme Jonathan Schachter, dans son livre The End of the Second Intifada ?) considèrent qu’elle n’est pas terminée et qu’elle continue sous une autre forme, une analyse qui s’appuie notamment sur les attaques à la roquette contre Israël. Depuis 2006, Israël soumet la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, à un sévère blocus, où la quasi totalité des produits commerciaux est interdite d’importation, et la fourniture en électricité est extrêmement réduite. Comme le dénonçait en 2010 Max Gaylard, diplomate australien et coordinateur humanitaire pour l’ONU, le blocus israélien sur Gaza impacte sévèrement la santé de ses habitants, en provoquant des pénuries de matériel médical et de médicaments, et en empêchant la formation de soignants compétents sur place. Selon un rapport de l’ONU, entre 2008 et 2011, 66 Gazaouis (dont 22 enfants) sont morts en attendant leur autorisation de rentrée en territoire israélien pour se faire soigner. Les groupes de défense des droits humains ne cessent de dénoncer des conditions de vie déplorables et inhumaines.

Les tensions reprennent depuis 2014, avec l’enlèvement de trois jeunes Juifs par le Hamas, ce à quoi Israël répond par des arrestations, des morts, et la confiscation par la violence de biens palestiniens. L’observatoire euro-méditerranéen pour les droits de l’homme publie un rapport en 2014 expliquant que l’armée israélienne a effectué environ 18 raids par jour pendant trois semaines dans des foyers palestiniens, des universités, des cliniques médicales et des sociétés de médias. Elle a ainsi volé plus de 300 000 dollars en cash ainsi que des biens (comme des voitures, ordinateurs, bijoux et téléphones) d’une valeur d’environ 2,5 millions de dollars. C’est ainsi une violation directe des articles 27 et 33 de la Quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. La plupart des habitants de Gaza ne peuvent pas sortir de l’enclave, puisque les postes frontières du côté israélien sont strictement contrôlés et qu’ils sont très peu ouverts à l’année du côté égyptien (21 jours en 2015). Les mesures démesurées prises à l’encontre des habitants de Gaza sont justifiées par Israël par les tirs de roquettes perpétrés par le Hamas ou bien l’utilisation de tunnels clandestins pour attaquer Israël, d’une part, et se ravitailler en Égypte d’autre part. Pour autant, depuis la guerre de 2014 durant laquelle plus de 2000 Palestiniens, majoritairement civils, ont perdu la vie, contre 72 Israéliens majoritairement soldats, le Hamas ne revendique plus de tirs de roquettes et tente d’empêcher les autres petits groupes de résistance palestinienne d’user des roquettes. Cela n’empêche pas Israël d’accuser le Hamas de préparer une guerre contre l’État hébreu, et de lancer en prévention des frappes aériennes, en 2016. De plus, en 2016, la moitié des habitations détruites par la guerre de 2014 n’étaient toujours pas reconstruites. L’année précédente, l’ONU avait déjà prévenu que si rien ne s’améliorait, la situation deviendrait invivable d’ici 2020, or elle semble même se dégrader. Tous ces événements provoquent un regain de violence qu’on n’avait pas connu depuis les années 2000 ; en 2016, plus d’une centaine d’attaques au couteau ont lieu à Jérusalem, perpétrées par des Palestiniens contre des Israéliens. Enfin, le 30 mars dernier débutait la « marche du grand retour », commémorant de façon pacifique El Nakba le long de la bande de Gaza. Le bilan de cette marche, jusqu’à présent, est d’une centaine de morts et de plus de 3500 blessés, majoritairement par balles, atteints loin de la clôture marquant la frontière, alors même qu’ils ne représentaient aucune menace pour les soldats et civils israéliens.

Déséquilibre des puissances

La façon dont les médias traditionnels traitent le conflit israélo-palestinien fait souvent abstraction du déséquilibre très important des forces entre les deux parties. Mettre les offensives palestiniennes au même niveau que les offensives israéliennes, c’est nier la réalité de la situation, en particulier la domination d’Israël sur la Palestine. Alors que les actions palestiniennes (évidemment condamnables quand elles impliquent la mise en danger de vies humaines) sont des réactions à l’occupation israélienne, les offensives israéliennes sont un moyen pour l’État d’asseoir sa domination sur les Palestiniens en leur imposant des conditions de vie inhumaines.

Outre cela, il ne faut pas oublier qu’Israël a des alliés très puissants, notamment les États-Unis. La communauté juive américaine est assez importante et organisée, et elle compte sur le soutien des protestants, puisque la reconstruction de l’État hébreu en Palestine serait la condition du retour de Jésus sur Terre. Les relations entre Israël et USA sont aussi importantes au niveau militaire, puisque les USA supervisent la recherche-développement en armes d’Israël, les deux armées coopèrent étroitement et mettent notamment en commun leurs services de renseignement. Ce soutien s’est renforcé avec Donald Trump, qui reconnaît officiellement Jérusalem comme étant la capitale d’Israël, et inaugure l’ambassade américaine à Jérusalem le 14 mai 2018. Israël peut également compter sur le soutien de la Russie, qui a besoin de l’État hébreu pour asseoir sa notoriété dans la région du Moyen-Orient, conformément à la volonté de Poutine d’étendre le territoire russe. Une alliance plus récente s’est également créée entre Israël et l’Arabie Saoudite, puisqu’ils ont un ennemi en commun : l’Iran. Le Canada est aussi un soutien très fort d’Israël, particulièrement sur le plan idéologique puisqu’ Israël se présente sur le papier comme la seule démocratie du Moyen-Orient, et que le Canada l’encourage à se défendre face aux attaques terroristes qu’ils subissent de la part des groupes de défense palestiniens.

Israël et le pinkwashing

Israël est également connu pour faire oublier la légitimité discutable de son existence et sa politique colonisatrice et répressive envers la Palestine en se donnant une image de pays progressiste et en mettant en valeur sa culture. On en a eu un exemple très récent dans l’actualité internationale avec l’Eurovision, une compétition musicale organisée chaque année par l’Union européenne de radio-télévision. Le 12 mai dernier, c’est la candidate d’Israël qui a gagné le concours, et sa prestation a fait polémique sur plusieurs points. Outre sa présence même au sein du concours qui est contestée puisque ce n’est pas un pays européen, le choix de la candidate est très critiqué, puisque Netta Barzilai, en plus du service militaire obligatoire en Israël, s’est volontairement engagée un an au sein de la brigade du Nahal, l’une des principales brigades du pays. L’origine même de la participation d’Israël à la compétition est donc fortement critiquée. Mais la prestation en elle-même n’a pas non plus laissé indifférent. Netta Barzilai est accusée d’appropriation culturelle, qui est le fait d’utiliser des éléments d’une culture dominée lorsque l’on fait soi-même partie d’une culture dominante, ce qui contribue à représenter la culture dominée par une caricature raciste. Au concours de l’eurovision, Netta Barzilai était vêtue d’une robe inspirée du kimono traditionnel japonais, coiffée de deux chignons de chaque côté de la tête, et le décor comportait plusieurs « maneki-neko », statue traditionnelle japonaise représentant un chat assis et saluant de la patte. Mais Israël gagne le concours avec sa chanson « Toy », qui s’inscrit dans la suite du mouvement mondial de libération de la parole des femmes sur les violences sexuelles et sexistes, #MeToo, avec des paroles dénonçant le harcèlement de rue. L’humoriste norvégienne Sanne Wallis de Vries a d’ailleurs parodié la chanson israélienne avec des paroles dénonçant les violences de l’armée israélienne envers les Palestiniens lors de la marche du retour à Gaza.

Tous ces éléments s’intègrent à une pratique courante d’Israël : le pinkwashing. C’est une technique de communication qui s’appuie sur la célébration et la valorisation de l’homosexualité (et par extension du mouvement LGBT) par une entité politique afin de se donner une image progressiste et tolérante. Le journaliste Jean Stern, publie en 2017 un livre intitulé Mirage Gay à Tel Aviv, en écho au « mariage gay », dans lequel il dénonce l’hypocrisie d’Israël qui fait la promotion de l’homosexualité alors même que 47% des Israéliens considèrent l’homosexualité comme une maladie (contre 10% des Français et 5% des Espagnols et des Belges). On peut également penser au purplewashing, qui désigne cette fois le fait de promouvoir l’égalité de genre à des fins stratégiques et commerciales, ce qu’illustre la chanson choisie par Israël lors du concours de l’Eurovision. Le pays, à travers cette chanson, se montre sensible aux thématiques féministes de défense des droits des femmes, et pourtant maltraite ses réfugiées africaines (majoritairement venues du Soudan, d’Éthiopie et d’Érythrée). Le journal israélien Haaretz avait déjà rapporté en 2013 des témoignages qui affirmaient que le gouvernement injectait de force à ces femmes du Depo-Provera, un agent contraceptif de longue durée, les rendant stériles pour plusieurs années.

Boycotter Israël

Face à tout cela, beaucoup se mobilisent pour protester contre la politique d’Israël, notamment grâce à un outil accessible à tous : le boycott, c’est-à-dire en refusant de participer à l’économie et à la culture du pays. Cela passe par le boycott des marques israéliennes, mais aussi de toutes les entreprises et événements qui ont un lien, de près ou de loin, avec Israël, comme par exemple Starbucks, Coca-Cola ou L’Oréal. C’est aussi appeler les artistes internationaux à ne pas aller se produire en Israël, ou bien appeler les artistes israéliens à ne pas se produire dans les colonies israéliennes en Palestine. Le but du boycott est ainsi de protester ouvertement contre la politique israélienne, mais aussi de lutter efficacement contre le financement de la colonisation des territoires palestiniens. C’est pourquoi beaucoup appellent au boycott de l’Eurovision, qui, selon la tradition, devrait se dérouler dans le pays vainqueur de l’édition précédente, c’est-à-dire en Israël. C’est aujourd’hui l’outil, sinon le plus efficace, au moins le plus visible et le plus accessible à la population mondiale, faute de sanctions et de prises de position fermes de la part des autres puissances politiques.

Angèle Grimaux

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