Pourquoi il est nécessaire de regarder « Embrace – Accepte ton corps ! », le documentaire de Taryn Brumfitt

C’est l’histoire de la photographe australienne Taryn Brumfitt qui, en postant une photo d’elle nue et non retouchée, a su toucher la communauté internet. C’est un véritable pavé dans la mare que la jeune femme a jeté. Elle y dénonce le culte de la minceur qui sévit et pressurise l’ensemble des individus de nos sociétés occidentales, majoritairement les femmes. Ce culte, elle l’a subi après la naissance de ses trois enfants. Naturellement, son corps a été déformé par les accouchements successifs, elle a mis du temps à se réapproprier un corps qui ne coïncidait plus aux canons physiques imposés par la société. Sa première décision a été, à l’époque, de s’entraîner chaque jour pour pouvoir participer à un concours de bodybuilding, dans l’espoir de (re)trouver une forme de confiance en soi. Le résultat ne fut pas celui escompté puisque, même dans un corps socialement parfait, elle ne se sentait pas heureuse, pas elle-même. (comme l’ensemble des participantes, par ailleurs)

En postant cette photo d’elle, ronde, nue et souriante, contrastant avec la photo d’elle, bodybuildée et pourtant terne, elle a déclenché une réaction virale : oui, il est possible de s’aimer sans pour autant correspondre aux canons de beauté. Suite à de nombreux messages, de gratitude et d’aveux de mal-être, provenant de milliers d’internautes, elle entreprend un tour du monde de neuf semaines afin de rencontrer les femmes qui l’ont touchée. Ainsi, elle recueille leurs témoignages, leurs confessions aussi.

Le documentaire est également ponctué de témoignages de femmes interrogées dans la rue, au hasard. A la question : comment trouvez-vous votre corps ? La majorité des femmes ont formulé une réponse négative : imparfait, flasque, trop petit, cuisses trop grosses, dégoûtant, repoussant, voire même : « je le déteste ». Cela dénote, pour T. Brumfitt, d’un malaise social entretenu par des publicités promouvant un corps trop parfait pour exister et qui poussent les femmes à se comparer à quelque chose de vide. Selon elle, si 70% des femmes seraient insatisfaites de leur apparence physique, c’est parce que l’on a oublié ce à quoi ressemblait un vrai corps. La photographe incite à voir son corps, non pas comme une image que l’on donne en société, mais plutôt comme le seul vaisseau que l’on ait pour vivre et que l’on doit aimer et entretenir sainement.

Parmi les témoignages, le plus émouvant est sans doute celui de Tina, jeune femme anorexique depuis l’école primaire. C’est en entendant son frère parler des femmes comme des « grosses vaches », qu’elle a décidé de sauter des repas. Puis, elle a découvert des sites aidant à adopter le mode de vie anorexique, à savoir un genre de réseau social qui donne des conseils pour maintenir et « améliorer » son anorexie. Ces sites s’appuient également sur les publicités sportives blâmant les personnes en surpoids, les classifiant tous comme des fainéants, des involontaires, voire des lâches.

Tina, jeune femme anorexique, s’exprime :

« Je voudrais qu’on invente un produit magique qui permettrait de ne plus jamais prendre de poids afin que l’on puisse faire ce que l’on veut (…) personne ne devrait devoir s’affamer pour correspondre à ce que l’on voit dans les magazines. »

D’autres témoignages donnent énormément d’espoir. Celui de la photographe Amanda De Cadenet dénonce, par exemple, ce discours insensé qui voudrait que la beauté féminine soit normée alors même que la définition des canons de beauté évolue d’une façon foudroyante. En effet, dans les années 1920, la femme devait être plate et petite, dans les années 1930, elle devait être pulpeuse, puis grande et délicate durant les sixties pour enfin arriver à notre modèle de beauté actuel : grande, mince, mais pulpeuse. C’est un rythme insoutenable pour le corps de la femme, un rythme auquel beaucoup sont pourtant soumises. Elle rencontre également une femme atteinte de pilosité faciale, un mannequin grande taille, une femme dont le corps est partiellement brûlé ; toutes ont réussi à s’aimer telles qu’elles sont, en s’émancipant de cette pression sociale.

Taryn Brummfit a fait les frais de sa prise de position sur les réseaux sociaux. Elle n’a pas échappé aux commentaires acerbes d’internautes choqués par sa photo. Par exemple, elle a eu droit à des commentaires tels que : « ce n’est pas parce qu’on a eu des enfants qu’il faut se laisser aller. C’est de la fainéantise ! » ou encore « Ras-le-bol des grosses qui cherchent des excuses ! » Pire encore : « sur la première photo, j’aurais pu la niquer sobre, par contre, sur la deuxième, il m’aurait fallu quelques verres. » Face au harcèlement et à ce schéma social qui veut que la minceur soit saine, Taryn Brumfitt dit non. Non à la définition impossible de la vraie beauté, non à l’utilisation commerciale du corps de la femme, non à la soumission financière aux régimes inutiles.

« « Obsédé », c’est le mot des fainéants pour qualifier les gens déterminés. » slogan publicitaire pour une marque d’équipement sportif.

Après le visionnage de ce reportage, il est possible que vous soyez à la fois révolté.es, à la fois en paix avec vous-même. Car il s’agit bien de cela, il est temps de refuser cette image corporelle qui veut que notre corps ne soit jamais assez bien pour nous-même et, a fortiori, pour les autres. L’instrumentalisation que l’on peut faire du corps humain (à travers les publicités, les régimes, la majorité de taille 34 dans les magasins, l’apparence pulpeuse des femmes dans les jeux vidéo, etc.), est dangereuse pour la construction personnelle au sein d’une société aux tendances individualistes.

Si cet article vous a donné envie de voir le documentaire, voici le lien Youtube de la chaîne d’Arte (no pubs) : https://www.youtube.com/watch?v=oaqgFNmH5CM

Marthe Chalard-Malgorn

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