Le Rock et la Guerre Froide (2/4) : le Rock et la dissidence frontale

Cet article est le second d’une petite série se consacrant au même sujet, à savoir les relations entre le rock et la guerre froide. Pour lire le premier sur la naissance du rock, c’est ici. Comme tout écrit sur le rock ne peut se concevoir sans quelques illustrations sonores, des liens YouTube (en gras) renvoyant aux chansons auxquelles il est fait référence sont dispersés ça et là et une petite liste de morceaux choisis vous attend à la fin de l’article.

Le rock exprime, par les valeurs qu’il prône et par ce qu’il représente auprès d’une jeunesse en rupture de ban avec la société conservatrice américaine, une forme de transgression qui devient véritablement explicite et frontale avec l’émergence du rock contestataire. Celui-ci se développe à la fin des années 60 lorsque la Guerre Froide bat son plein, et en réaction à son actualité. Le moment de la contestation de la guerre du Viet-Nam constitue un élément essentiel du rock protestataire, et de nombreux titres célèbres du rock (plus qu’il est possible d’en citer) y font référence.

Le rock à l’heure de la guerre du Viêt Nam : opposition, prise de conscience et médiatisation de la contestation

jimi-hendrix
Web, Bergamopost

Les Etats-Unis s’engagent massivement dans la guerre du Viêt Nam en 1965 en appliquant une politique de contre-insurrection au nom d’une lutte d’influence contre le communisme. Cette guerre fortement médiatisée engendre de nombreuses contestations de la part d’une partie de plus en plus importante du peuple états-unien, ce qui est accentué par l’enlisement du conflit en 1968 avec l’offensive du Têt. Les slogans « Peace and love », et « Make love not war » arborés ou prononcés par de nombreux groupes ont, à l’époque, parce qu’ils s’inscrivent dans ce contexte, une véritable force d’évocation et un véritable sens. Le rock joue un rôle clé dans la médiatisation et la diffusion de cette contestation en touchant principalement les étudiants, frange de la population la plus activement protestante (l’occupation du campus de l’université de Columbia en 1968 en est un bon exemple). Un des moments forts de cette contestation est le très célèbre festival de Woodstock, « 3 days of peace and music » en 1969. 50 mille personnes sont prévues, 400 mille viennent, et ce car il représente plus qu’un simple évènement musical : c’est un sommet de la contre-culture hippie. De très nombreuses chansons anti-vietnam y sont jouées, notamment une performance de Country joe and the fish, imprévue : « And it’s one, two, three, What are we fighting for? Don’t ask me, I don’t give a damn, Next stop is Vietnam » (qu’on pourrait traduire par « et un deux trois pourquoi est ce que l’on se bat, ne me demande pas je m’en fous, prochain arrêt le Vietnam ». Une des scènes les plus emblématiques de Woodstock est le Star Spangled Banner de Jimi Hendrix, performance effectuée en clôture du festival devant seulement 30 mille personnes, mais rendue fameuse par le documentaire Woodstock, sorti l’année suivante. Il reprend l’hymne américain en imitant avec sa guitare chutes d’obus et explosions. De nombreuses chansons (on peut aussi citer Unknown Soldier des Doors et Fortunate Son de Creedence Clearwater Revival) deviennent ainsi des hymnes pacifistes symbolisant la contestation anti Viêt Nam.

Le désintérêt pour le mouvement hippie, déjà sur le déclin, de la part des media en 1975 avec la fin de la guerre du Viêt Nam montre à quel point les deux phénomènes sont liés dans l’imaginaire américain.

Perte de l’innocence, le mouvement punk comme renouveau de la radicalité transgressive rock

sex-pistols-concert
Web, NY Daily News

Le début des années 70 marque la fin de l’innocence et de l’esprit des sixties. Si les années soixante constituent l’ivresse, les années 70 c’est la gueule de bois, et carabinée : en premier lieu la décennie annonce la fin du boum économique post guerre (qu’on appelle les 30 glorieuses en France) avec le choc pétrolier de 1973. En 1970 les Beatles se séparent et entre 1969 et 1971 ont lieu les morts coups sur coups de Brian Jones (fondateur des Rolling Stones), Jimi Hendrix, Jim Morisson et Janis Joplin : c’est la perte des idoles. Les meurtres de la Manson Family, communauté hippie ayant mal tourné ébranlent l’Amérique. A cela s’ajoute le meurtre du jeune afro-américain Meredith Hunter par un Hell’s Angel lors d’un concert des Rolling Stones à Altamont fin 1969. C’est aussi le début du règne de la drogue dure. Bref, c’est la fin du mouvement hippie comme contre culture majeure (même si on ne peut la dater précisément et qu’il y eut des résurgences) en réaction à un monde désenchanté qui coïncide avec le refroidissement des relations entre l’URSS et les E.-U dans la seconde partie de la décennie.

Ce contexte est important pour comprendre la rupture que constitue le punk, rupture à la fois esthétique à l’heure du rock progressif aux chansons longues alambiquées et techniques, et rupture de pensée à l’heure du glam rock qui s’est éloigné de la rhétorique révolutionnaire du rock de la fin des années 60 pour glorifier la superficialité, le spectacle à outrance et la décadence, esprit qui se rattache plus facilement à la société de consommation. En effet le punk cherche à retourner à une musique simple et que tout le monde peut jouer (le « Do it yourself » anti-consumériste), de retrouver une authenticité et de mettre en avant un propos désespéré et nihiliste qui s’affiche clairement en rupture de ban avec la société : le « no future » hurlé par les Sex Pistols devient un mantra punk.

A la suite des précurseurs que sont le Velvet Underground (avant garde artistique mécéné par Andy Wharol qui chantent l’héroïne et le sado-masochisme alors que le Summer of Love bat son plein), et Suicide (le nom parle de lui même) se met en place le punk. Le groupe américain les Ramones, peu politisés sinon par leur musique même (simple, droite au but), amorce en 1974 la naissance du mouvement en tant que tel. Cependant ce sont les Sex Pistols, groupe anglais, qui deviennent les emblèmes du punk et mettent en place des paroles explicitement engagées, promouvant un renversement des valeurs communément admises. Ainsi God Save The Queen dénonce le Royaume-Uni comme un régime fasciste, bien loin des considérations manichéennes opposant «l’Empire du Mal » soviétique au camp de l’Ouest, œuvrant pour le bien : « God save the queen, The fascist regime, They made you a moron, Potential H-bomb » (« Dieu sauve la reine, le régime fasciste, ils ont fait de toi un abruti, bombe h potentielle »). Le second pilier de la scène punk (en terme de notoriété) c’est les Clash, groupe bien plus militant, tête de proue d’un punk politique : White Riot incite ainsi à la révolte en invitant les blancs à imiter les noirs dans leur rébellion. La plupart des groupes sont profondément marqués à gauche (le chanteur des Clash arbore l’emblème des Brigades Rouges, groupe d’extrême gauche italien) et si certains punks abordent des croix gammées c’est souvent bien plus par provocation, par volonté de choquer, que par idéologie.

Toutefois, le rock, s’il est souvent porteur d’un message s’opposant aux valeurs américaines et par conséquent au manichéisme idéologique inhérent à la logique de guerre froide, n’échappe pas à toute les logiques que met en place cette dernière, qu’elles soient conscientes ou non.

Prochain épisode : Le rock, fleuron du soft-power américain ?

– Rock hippie partie 2 :

I-Feel-Like-I’m-Fixin’-to-Die Rag 1967 Country Joe and the Fish

The Unknown Soldier 1968 The Doors : en live le groupe imite l’exécution spectaculaire d’un soldat.

Star Spangled Banner 1969 Jimi Hendrix

Fortunate Son 1969 Creedence Clearwater Revival : « Some folks inherit star spangled eyes, Oh they send you down to war lord »

A voir : Le documentaire sur Woodstock sorti en 1970, véritable instantané de la contre-culture hippie.

– Punk :

Blitzkrieg Bop 1976 The Ramones

Neat Neat Neat 1976 The Damned

Anarchy In the UK 1976 Sex Pistols

God Save The Queen 1977 Sex Pistols

White Riot 1977 The Clash

London Calling 1979 The Clash

Maël Rock

Laisser un commentaire