Le bio comme avenir : rencontre avec Stéphane Mesnil, agriculteur bio-lait convaincu

Loin des paysages d’openfield, on aperçoit depuis la route des herbages au milieu desquels des haies d’arbres ont été plantées et commencent à délimiter les espaces. En Normandie, un bassin laitier dynamique où l’agriculture bio reste en marge, l’occasion de rencontrer Stéphane Mesnil était trop belle. Producteur de lait bio, il travaille à la ferme de la Trébisière avec des outils de taille modeste ; avec deux associés, ils possèdent 120 animaux, tous âges confondus, qui fournissent 400 000 litres de lait par an sur 100 hectares.

Le Halo Magazine : Depuis quand vous êtes vous tourné vers le bio ?

Stéphane Mesnil : Le bio s’est tourné à moi, alléluia ! (rires) J’ai débuté la conversion en 2010, mais pour obtenir l’agrément « bio » il faut une transition de 2 ans. C’est une période d’observation du cahier des charges bio, pendant laquelle il faut se plier aux règles du jeu, tout en continuant à vendre en conventionnel. Si on respecte les règles, au bout de 2 ans, on obtient l’agrément.

L.H.M. : Pourquoi avoir décidé de quitter l’agriculture conventionnelle pour le bio ?

S.M. : Les éléments déclencheurs, ce sont d’abord des idées qui favorisent une prise de conscience en amont, et des éléments qui font alors tout basculer. J’avais envie de me tourner vers une autonomie alimentaire, un plus grand respect de l’environnement, et l’envie de retrouver de l’autonomie intellectuelle et économique. L’autonomie intellectuelle c’est être sur un espace restreint où tout est lié et où tout doit répondre à tout. Il ne peut pas y avoir d’éléments contradictoires dans l’ensemble du système, on doit faire avec les contraintes. A l’inverse, certains agriculteurs en conventionnel se croient complètement soumis à des contraintes administratives en partie imposées par l’Europe et la PAC*, et ne voient pas les leviers qu’ils ont dans les mains. Ce qui a conforté ma décision, c’est la crise laitière de 2009 qui a provoqué une chute des prix du lait conventionnel. La situation économique est devenue plus difficile, et elle a eu pour conséquence un impact négatif sur le revenu agricole. Ce sont des éléments majeurs qui poussent à la réflexion et qui orientent vers la conversion.

L.H.M. : Qu’est-ce que cette conversion change pour vous ?

S.M. : Dans l’approche, on doit faire un pas de côté. Il y a des choses qu’on réalise après, quand on rentre dans la bio. Par exemple, il faut arriver à comprendre qu’on ne peut plus avoir les mêmes objectifs. Pour moi c’était perturbant, il faut se défaire de certains critères techniques du conventionnel, mais une fois cela compris, tout découle naturellement et on peut rentrer pleinement dans le système du bio. Il n’y a pas que des critères du cahier des charges, il y a aussi l’acceptation d’une déconvenue, puisqu’il n’y a pas de rattrapage. Il faut être capable de se donner des portes de sortie quand ça échoue, quand les objectifs ne sont pas là ; sans pour autant arrêter, il faut trouver une alternative, se réorienter. Cela nécessite aussi d’être très réactif ; l’observation de la nature est beaucoup plus forte, et s’effectue le plus en amont possible : ce n’est pas la même démarche que dans le conventionnel. Le fonctionnement de l’exploitation change aussi, il faut adapter les espèces aux prairies, par exemple on ne peut pas rajouter d’azote quand on est certifié bio, donc on utilise des espèces qui acceptent mieux un déficit azoté dans le sol. La conversion m’a également permis de me réapproprier la filière. Les agriculteurs de la coopération étaient, auparavant, acteurs de la collecte à la vente du produit agricole, avant d’être rattrapés par des lois productivistes et commerciales, se défaisant de la maîtrise de la production. Aujourd’hui il y a une réappropriation de cette chaîne et du contrôle de la production à travers bio-lait.

L.H.M. : Comment envisagez-vous l’agriculture biologique ?

S.M. : Dans l’avenir, l’objectif serait d’aller encore plus loin dans la souveraineté, par exemple la coopérative bio-lait dont je fais partie, contrôle la collecte et la vente du lait, permettant aux éleveurs bio de travailler en circuit court. L’idée est aussi de préserver le signe de qualité pour le consommateur, afin de satisfaire ses exigences. Dans le présent, par agriculture biologique, on entend une agriculture de l’après pétrole, et c’est une nécessité à long terme. Il va falloir réfléchir à une agriculture plus sobre en énergie, qui devra avoir un bilan carbone moins impactant, et qui devra répondre aux choix de la société, c’est-à-dire une volonté de manger de meilleurs produits. La santé du citoyen passe par une alimentation saine et équilibrée, et une agriculture bio peut proposer des produits simples, variés, authentiques, et sains.

L.H.M. : Justement, de quelle manière percevez-vous le rapport de l’homme à la nature ?

S.M. : Il faut absolument que l’homme resserre son lien à la nature, il faut entrer dans une forme de restauration de la nature sous toutes ses formes. Par exemple il faut observer comment la nature s’organise elle-même, et que l’homme parvienne à préserver les équilibres naturelles qui constituent la base de cet écosystème. La nature est faite d’équilibre, si on n’observe pas ce fonctionnement et qu’on ne voit que des intérêts économiques à court terme, on ne peut pas préserver la durabilité de la nature et les écosystèmes.

L.H.M. : On sait que le modèle conventionnel et intensif ne peut perdurer à long terme ; pour vous, c’est une manière de contribuer à donner un meilleur avenir aux générations futures ?

S.M. : Je pense que la finalité de l’agriculture bio se résume au fait que si on veut préserver l’espèce humaine on ne peut pas faire fi de son environnement ; si on est capable de préserver un espace naturel on aura donné les moyens de préserver l’espèce humaine. Dans l’immédiat, le bio résulte du souhait de se défaire des fournisseurs de produits chimiques, engageant les prémisses de l’après pétrole, en disant non à la pétrochimie et aux engrais de synthèse. En passant au bio, on renonce à tous ces systèmes, et c’est une chose dont il faut se préoccuper ; il faut y réfléchir et trouver une agriculture capable de produire sans pétrole, ce qui va nécessairement avoir un nouvel impact sur le paysage agricole. On est face à la réinvention d’un système de fonctionnement, par obligation, on est face à un super challenge ! Ce n’est pas une catastrophe, c’est une opportunité si l’on se place d’un point de vue moderne et optimiste.

Propos recueillis par Anaïs Marie

*Politique Agricole Commune

Anaïs Marie

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