Le Yémen : prisonnier de la guerre et du choléra

Au cœur d’une guerre civile renforcée par la présence djihadiste dans la région depuis deux ans, le Yémen affronte une crise humanitaire sans précédent. Plus de 800 000 cas de choléra ont été signalés et l’épidémie ne cesse de progresser, ravageant les civils déjà victimes de la guerre.

L’épidémie de choléra qui touche le Yémen est la plus importante depuis la mise en place de relevés épidémiologiques modernes en 1949. Elle a rapidement dépassé celle dont a été victime Haïti en 2010, survenue quelques mois après le tremblement de terre. Selon Stéphane Dujarric, le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, l’épidémie est la plus rapide et la plus grande de toute l’histoire, s’étant propagée 92% du territoire. En moins de six mois ; d’avril, date du début de l’apparition de l’épidémie, à octobre de cette année, le Yémen a enregistré plus de 800 000 cas et plus de 2 000 décès. Loin de disparaître, la situation reste alarmante : bien que la propagation semble avoir quelque peu ralenti, plus de 60 000 cas ont été recensés depuis le début du mois d’octobre.

Le choléra est une infection intestinale aiguë et épidémique touchant strictement les humains. La contamination s’effectue par l’absorption d’eau, de boissons ou d’aliments au contact de déjections, de mains sales ou de matériel contaminé par la bacille Vibrio cholerae. L’infection se caractérise par une importante déshydratation due principalement aux toxines cholériques libérées dans l’intestin. L’organisme est sévèrement vidé de son eau par de violentes diarrhées et vomissements qui suivent la période d’incubation. Cette période étant très courte, de quelques heures à quelques jours, l’épidémie a de plus grandes chances de se propager rapidement et de prendre une ampleur aux conséquences désastreuses. D’autant plus qu’en l’absence de soins, qui consistent d’abord en une réhydratation, et en l’absence de traitement, la mort survient en un à trois jours. Les experts prévoient que l’épidémie au Yémen devrait atteindre près d’1 million de cas, dont au moins 600 000 cas chez les enfants particulièrement fragiles face à la maladie.

L’effondrement des infrastructures du Yémen, résultant des deux ans de guerre civile, favorise la propagation du choléra ; 4 700 cas suspects sont déclarés chaque jour. Robert Mardini, du Comité international de la Croix-Rouge, a déclaré qu’« il s’agit de la pire crise de santé pour une maladie évitable dans l’histoire récente ». Le meilleur moyen de stopper la propagation de la maladie est la mise en place de mesures d’hygiène strictes, et la distribution d’une eau sûre. Or, cette épidémie n’est pas sous contrôle et son expansion rapide a été favorisée par la détérioration des conditions d’hygiène et sanitaires. Ainsi, des milliers de personnes n’ont plus accès à l’eau potable dans le pays, plusieurs régions sont au bord de la famine, moins de la moitié des équipements de santé sont en état de fonctionnement, beaucoup de personnels n’ont pas été payés depuis presque un an et moins de 30 % des médicaments nécessaires sont livrés. La pénurie d’eau potable et l’absence de collecte des déchets augmentent le risque de propagation du choléra. De plus, des millions de Yéménites sont déplacés en raison de la guerre, autant de personnes confrontées au risque de contracter la maladie.

A l’origine de cette catastrophe sanitaire et de la destruction des structures de santé nécessaires : la guerre dévastatrice dans laquelle le Yémen est plongé depuis plus de deux ans. La guerre civile qui déchire le pays oppose les forces du président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenues par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, aux rebelles Houthis, alliés à des unités de l’armée restées fidèles à l’ex-président déchu Ali Abdallah Saleh et accusés de liens avec l’Iran. Le pays se trouve divisé en deux : la capitale Sanaa et le nord du Yémen contrôlés par les rebelles d’un côté, et le sud où sont regroupés les forces pro-gouvernementales de l’autre. Profitant du chaos provoqué par la guerre civile Aqpa, une des branches d’Al-Qaida, a renforcé son influence dans la péninsule arabique ; branche qui est couramment visée par des drones américains. Premières victimes de ce conflit, les civils sont les cibles principales des attaques menées dans le pays. Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la guerre civile a fait plus de 8 000 morts et plus de 58 000 blessés depuis le début de l’intervention de la coalition arabe. Parmi les chefs d’accusation cette coalition menée par l’Arabie saoudite est accusée de violer les droits des enfants, principalement lors d’attaques d’écoles ou d’hôpitaux. Dans un rapport adressé au Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire général Antonio Guterres affirme que « plus de 8 000 enfants avaient été tués ou mutilés dans des conflits en 2016 » lors « d’attaques inacceptables ». L’Arabie saoudite se défendant par le rejet de la faute sur les Houthis, il n’en reste pas moins que ces exactions ont bel et bien été commises, participant à l’instabilité du pays.

Toutes les négociations et les tentatives de cessez-le-feu ont échoué depuis 2015, bloquant le processus onusien. Malgré le désintérêt de la communauté mondiale et le mutisme des pays occidentaux, l’ONU réclame la fin de la guerre au Yémen. La réouverture du trafic aérien de l’aéroport de Sanaa et du trafic maritime du port de Hodeida sont des éléments essentiels afin d’alléger la crise humanitaire du pays. Le représentant spécial de l’ONU au Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, lors d’une allocution devant le Conseil de sécurité à New York, a réclamé à nouveau un arrêt de la guerre au Yémen, ajoutant la nécessité de la création d’un nouveau gouvernement prenant en compte tous les Yéménites. En effet, la stabilisation politique semble être la première réponse pour apaiser le climat de guerre et la crise humanitaire et sanitaire favorisée par le conflit. « Au Yémen, personne n’est gagnant sur le terrain de la bataille. Le grand perdant, c’est le peuple yéménite », a insisté Ismaïl Ould Cheikh Ahmed.

Anaïs Marie

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