Le dessous des sondages : secrets dévoilés

En pleine période électorale, les sondages fleurissent dans notre quotidien : à travers les journaux, la télévision, la radio ou encore Internet. Tous les jours, la popularité des candidats est soumise aux chiffres des enquêtes d’opinion. Mais quelle confiance peut-on réellement leur accorder ? Le reportage Secrets de sondages de Lionel Poussery et Jérôme Weisselberg, diffusé sur France 2 dans « Envoyé Spécial », s’interroge sur les secrets présents derrière ces oracles politiques.

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A quelques jours du deuxième tour des élections présidentielles, les sondages continuent d’inonder nos écrans de télévision et nos smartphones. Chaque jour, les pourcentages des candidats sont remis à jour. Mais que valent-ils vraiment ? Dernièrement, les sondages ne semblent pas s’être imposés par leur fiabilité : l’élection de Donald Trump face à Hillary Clinton pourtant en tête dans les sondages, mais aussi le Brexit voté en faveur d’une sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne alors que les sondages affichaient un vote en sa défaveur. Malgré le manque de clarté quant à la fiabilité des enquêtes d’opinion, les hommes politiques en sont accros et ne peuvent plus s’en passer, que ce soit dans l’objectif d’arriver au pouvoir ou une fois qu’ils y sont arrivés. Diffusé deux semaines avant le premier tour des élections françaises, le reportage Secrets de sondages met l’accent sur la place des sondages dans notre vie et dans nos choix électoraux. Avant de pouvoir réellement comparer les programmes de chaque candidat, des pourcentages apparaissent et classent les hommes politiques selon leur popularité. Chaque jour, de nouveaux sondages sont réalisés par les instituts pour savoir si les chiffres restent stables ou creusent l’écart. Tout est prétexte à une nouvelle évaluation : débat politique, meeting, apparence publique, etc. Ces sondages donnent l’impression que les élections sont déjà validées avant même d’avoir voté. Involontairement, ils incitent au vote utile : en affichant un favori, les citoyens sont plus tentés de se tourner vers telle ou telle personne paraissant la plus à même de contrer les partis jugés dangereux. Ici on peut prendre l’exemple d’Emmanuel Macron, en tête dans les sondages et qui s’illustre donc comme le candidat ayant le plus de chance de contrer Marine Le Pen. Est ce que ce premier aurait reçu autant de voix s’il n’avait été estimé qu’à 9 % auprès de la population ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Que faire, prendre le « risque » d’un vote du cœur ne prenant pas en compte les estimations, ou alors un vote utile orienté par les enquêtes pour contrer d’autres candidats ? Derrière les sondages se cachent de nombreuses données auxquelles nous n’avons pas accès. Après nous avoir ouvert les portes de l’institut de sondage Ifop, le directeur général adjoint, Frédéric Dabi, nous révèle les méthodes de sondages : ceux-ci sont effectués sur un échantillon de la population choisie au hasard, ou alors les sondés sont sélectionnés selon des critères bien précis tels que le sexe, l’âge, la profession, le lieu de résidence, dans le but de représenter au mieux les Français. Dans le cadre de cette dernière méthode, l’échantillon interrogé correspond à des chiffres précis. Si trop de femmes sont interrogées, les sondeurs vont se concentrer sur les hommes correspondant aux critères qui leurs manquent. Mais qui sont réellement les personnes à l’origine des pourcentages donnés dans les enquêtes d’opinion ? Les sondages sont réalisés par le biais de différents instruments : des démarches téléphoniques, et maintenant de plus en plus des questionnaires sur Internet. Ces derniers, plus rapides et plus simples à effectuer, concentrent néanmoins un inconvénient quant à leur fiabilité : des cadeaux sont fournis lorsqu’on répond aux questions. De nombreux sites tels que Maximiles ou encore Harris et OpinionWay, récupèrent les adresses mails des utilisateurs et leurs envoient des sondages qui leur font gagner des cadeaux ou de l’argent. On peut alors se demander si ces récompenses n’entraînent pas une pratique excessive des sondages et donc entraînerait de fausses données. Les deux reporters nous invitent alors à rencontrer deux personnes répondant régulièrement à ces enquêtes d’opinion. L’un deux, étudiant, répond aux questions en mentant sur son âge, son sexe et sa profession pour avoir plus de chance de répondre aux critères attendus et donc d’être sélectionné. Cela ne le dérange pas, pour lui ce ne sont que des sondages. Une dame âgée, quant à elle, utilise les questionnaires pour compléter sa retraite mais répond le plus fidèlement possible. Bien que les sondeurs ne s’inquiètent pas de ces pratiques – jugeant que les faux profils ne représentent qu’un très faible taux sur le pourcentage total des réponses – il apparaît très facile de rentrer dans cette forme de récompense en se contentant de répondre à quelques questions par le biais de multiples profils.Néanmoins, les sondés ne sont pas les seuls influençant les résultats. La manière dont est posée la question, les mots choisis, influent sur les réponses. Différents tests sont pratiqués par les journalistes du reportage : des questions sont posées de différentes manières à deux groupes différents. Concernant l’accueil de migrants sur le territoire français, le groupe de sondés est plutôt contre lorsque la question est posée de manière à faire peur, incluant les termes de « milliers de migrants ». Lorsque la question est posée différemment à un autre groupe, la réponse devient favorable. Ici, il est question d’accueillir des personnes fuyant la guerre et des situations qui mettent leur vie en danger. La part humaine rendue à la question, le choix n’est plus le même. Il est donc évident que la manière dont est posée la question oriente la réponse. La subjectivité des sondeurs, parfois exprimée de manière inconsciente, est également utilisée pour satisfaire les attentes des instituts demandant la réalisation d’un sondage. Selon le commanditaire et les réponses qu’ils attendent, les questions ne seront pas posées de la même façon. La cuisine des sondeurs ne s’arrête pas là. Les chiffres qui nous sont annoncés à travers les médias sont retravaillés par les sondeurs eux-même : ils redressent ceux qu’ils estiment trop bas. Libre à celui qui a réalisé le sondage de rajouter des pourcentages. Pour les élections présidentielles par exemple, lorsque les sondeurs estiment que trop de personnes interrogées ont voté pour le PS en 2012, et donc que cela ne représente pas correctement la France et les intentions de vote des Français, ils rajoutent quelques points à Marine Le Pen. De plus, les chiffres qui nous sont communiqués ne sont pas ceux que les sondeurs ont obtenus. Les chiffres des sondages sont compris dans une moyenne : si Emmanuel Macron est par exemple annoncé à 23 %, dans les sondages il est en réalité entre 20 % et 25 %. Mais les estimations n’apparaissent pas de telle sorte car elles seraient moins « vendeuses » et ne retiendraient pas l’attention.Si les sondages occupent une grande place dans notre quotidien, ils sont également en vogue chez les politiciens. Ce sont des oracles politiques pour les candidats se retrouvant sous leur influence ; influence qui peut jouer en leur défaveur. Interrogé, le directeur de campagne d’Alain Juppé admet s’être laissé tromper par les chiffres auxquels il accordait sa confiance. Ceux-ci annonçant le candidat de droite en tête des primaires, il a adopté une stratégie de communication insuffisante, se basant sur sa victoire certaine. Sans les prévisions, ou si celles-ci avaient été défavorables, le directeur de campagne d’Alain Juppé aurait utilisé une stratégie plus combative, moins passive. Ce n’est pas le seul homme politique sous influence : le reportage dévoile les enquêtes réalisées par différents candidats, notamment Nicolas Sarkozy et Manuel Valls. Alors que ce dernier était encore Premier ministre, de nombreuses enquêtes ont été menées concernant, notamment, son apparence. Est-ce que la position de sa mèche plaisait ? Est-ce que son oreille décollée lui donnait un côté combatif ? Mais ce qu’on ignore c’est que toutes ces enquêtes ont été financées avec l’argent public. Les sondages sur Manuel Valls ont coûté, au total, 53 520 euros. Nicolas Sarkozy a lui aussi profité de ces oracles politiques lorsqu’il était à la tête du gouvernement ; préparant l’élection présidentielle de 2012 et sa possible réélection, l’ancien chef de l’État a commandé des sondages pour avoir des retours sur ses apparitions et sa relation avec Carla Bruni, ses déplacements à l’étranger et son comportement, etc. Résultat, entre 2007 et 2009 l’Élysée a commandé 333 sondages – c’est-à-dire un tous les trois jours. Pour l’ensemble du quinquennat, cela représente plus de 6 millions d’euros sur la facture publique. Conscient de la somme dépensée pour des questions important peu aux Français, François Hollande, président, avait promis qu’il n’utiliserait plus de sondages. Mais difficile de se passer de ces enquêtes faisant parti prenante de la vie politique. L’Élysée, passant par le SIG, le service d’information du gouvernement, a continué de réaliser des enquêtes auprès de la population. Tous se retrouvent donc sous l’influence des sondages, les candidats et l’Élysée. Le reportage n’a pas pour but de dramatiser les sondages ou de les diaboliser, mais simplement de dévoiler les secrets derrière leur réalisation pour moins les considérer comme des oracles, moins se fier aux chiffres qui nous sont annoncés. Mais est-il si simple de se détacher d’une méthode à laquelle nous sommes habitués ? Méthode à laquelle même les politiciens semblent avoir du mal à se passer.

Anaïs Marie

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