Saez : quand le rock manifeste

Après plus de 3 ans d’absence de la scène musicale, Damien Saez est reparti en tournée dans le cadre de la sortie de ses deux nouveaux albums. Il a joué ce 21 Mars au Mans à la salle d’Antarès et a servi aux Manceaux un concert flamboyant en déployant des morceaux issus de l’ensemble de sa (considérable) discographie. Si l’artiste, accompagné d’un groupe de musiciens solides a avant tout placé son spectacle sous le signe d’un rock électrique et furieux, il n’a pas hésité à faire retomber la pression par des chansons plus douces et tout aussi envoûtantes qu’il a joué seul à la guitare acoustique. Petite curiosité du concert, l’ajout occasionnel de courts passages cinématographique qui s’inscrit dans la volonté pluri-artistique du Manifeste.

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Antarès, Le Mans, il est 19h50, le concert est supposé débuter à 20h mais au vu de la foule monstre qui s’effile encore bien loin de l’entrée, il devient très vite clair qu’il n’en sera rien. Après tout un concert qui commence à l’heure c’est comme un candidat aux élections présidentielles sans casseroles : une anomalie. On piétine dans le froid, discute, l’ambiance est gaie et sans le réaliser on se retrouve vite dans la chaleur du bâtiment. Pour les chanceux qui ont réussi à se glisser entre les corps serrés au premiers rangs elle devient même presque suffocante et il faut bien vite se débarrasser de ces manteaux et autres pulls devenus trop encombrants : pour danser il vaut mieux être libre de ses mouvements et malgré le calme qui règne sur ses deux derniers albums on espère bien que ce concert sera placé sous le signe de l’électrique.

Les lumières s’éteignent, un écran descend sur la scène, on contemple le monologue en gros plan sur le visage d’une femme rappelant tous les topos saeziens (jolie, la clope aux lèvres, l’air désabusé et triste), joliment accompagné de Saez qui vient de s’installer au piano. S’ensuit ensuite deux chansons à la gratte acoustique (Les Enfants Paradis et L’Humaniste). Après cette introduction tout en douceur l’écran se lève et on distingue alors les 6 musiciens qui vont accompagner Saez et on est on ne peut plus rassuré quant à la tonicité du concert qui va se tenir : trois guitaristes (rien que ça, et sans compter Saez), un bassiste (caché dans le fond le pauvre) un batteur (barbu, le batteur) et un accordéoniste qui viendra ponctuellement ajouter une petite touche populaire/folklo des plus sympathiques. La pression monte progressivement avec des chansons puissantes (Fin des Mondes, Into the Wild), le rock pointe le bout de son nez avec Betty mais c’est Des P’tits Sous qui marque véritablement l’entrée du concert dans la frénésie électrique qui s’empare de la scène et de la foule. S’enchaînent alors les sons les plus énergiques de son répertoire : les spectateurs dansent (c’est un bien grand mot, sautent, se bousculent et tourbillonnent serait plus juste) et chantent en chœur au rythme endiablé et endiablant de Pilule, J’accuse, Cigarette, Ma Petite Couturière, sans que les musiciens laissent un instant au public pour souffler (les salauds). Après un court discours typiquement saezien sur l’état peu reluisant de la France se déploie la fureur d’une Marianne plus folle que jamais au débit frénétique et tonitruant qui se mue en Fils de France, constituant l’apogée de l’état de grâce rock du concert. A lieu en guise de pause un intermède dispensable qui marque le retour de l’écran sur scène avec des textes qui reprennent sans virtuosité l’éternelle critique saezienne de la société capitaliste, puis un second monologue de la jolie femme à la cigarette, nettement plus intéressant et nous rappelant la capacité admirable de Saez à mettre du poétique dans le vulgaire. La musique reprend et on se souviendra des trois seules chansons vraiment rock de son dernier album : Peuple Manifestant et son chant parlé, et surtout Bonnie et Rue d’la Soif, si festives qu’elles semblent taillées pour la scène (à l’évidence, elles le sont) et aux consonances fortement bretonnisantes qui déchaînent une dernière fois la foule. La tension redescend peu à peu avec un Jeunesse Lève-Toi qui, pour avoir été mille fois entendu, est suffisamment renouvelé avec l’apport de la basse, de la batterie et d’un guitariste jouant au pinceau (!) pour qu’on puisse y retrouver le plaisir de l’écouter intact. Après une superbe version toute en puissance de J’veux qu’on Baise sur ma Tombe, le groupe quitte la scène et laisse le public pas encore épuisé s’essouffler les poumons pour le rappel. C’est aux cris de « Damien, on t’aime ! », d’« Alleeeez ! » et de « Ouaaiiiiis ! » qui sentent bon l’éthanol et autres « Damien, Président ! » que le chanteur retourne sur scène tout seul avec sa gratte pour nous jouer Tricycle Jaune et une chanson de son dernier album que, malgré un début mal huilé (« Faut que je me rappelle des accords par contre »), il réussit l’exploit de faire sonner (faire en sorte que « Pleure pas Bébé » ça ne rende pas ridicule, c’était pas gagné ; il l’a fait). Il termine, rejoint progressivement par ses musiciens, sur la montée en toute puissance de Tu Y Crois, sublime, qu’il achève par un solo à la voix aux sonorités fortement amérindiennes qui nous rappelle que les whiskys qu’il s’est enfilés, les clopes qu’il a enchaînées et les chansons passées à gueuler n’auront pas eu raison de sa voix, toujours parfaitement maîtrisée. Saez laisse alors le privilège du final à ses musiciens qui déversent un déluge électrique monumental aux riffs hendrixiens où les deux guitaristes rivalisent de virtuosité en jetant leurs dernières forces dans un double solo dantesque.

Les lumières se rallument, Damien revient sur scène pour remercier son public, la sincérité se lisant sur son visage (suffisamment rarement illuminé par la gaieté pour que cela vaille la peine de le mentionner). La foule se déplace lentement vers la sortie, elle ressort de quatre heures de concert un peu hébétée, mais le froid se charge de la rappeler à la réalité. Elle se sépare, chacun regagne sa voiture. Au dehors, un vendeur à la sauvette propose des posters de Saez à 3 euros. Il fait nuit, les phares illuminent l’asphalte. Il est temps de rentrer.

Maël Rock

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