Petits candidats : à quoi bon ?

Comme on pouvait s’y attendre, le débat des candidats à l’élection présidentielle n’a pas manqué de faire réagir. Des graphiques de Marine Le Pen aux SMS de François Fillon en passant par le lot habituels des petites répliques croustillantes, chacun a pu s’en donner à cœur joie. Mais, comme de nombreux observateurs ont pu le remarquer, il y avait cinq candidats sur le plateau de TF1, contre onze validés par le Conseil Constitutionnel.

Les six candidats n’ayant pu participer au débat sont Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle et Philippe Poutou. La chaîne de TF1 à justifié ce choix par le critère suivant : les candidats invités étaient ceux qui possédaient plus de 10 % des intentions de vote selon les sondages (1). Cette décision n’a pas manqué de faire polémique et à été critiqué presque unanimement par les candidats comme par les journalistes – France 2 à d’ailleurs annoncé qu’un débat serait organisé avec tous les candidats retenus par le conseil constitutionnel. Mais l’organisation de ce débat révèle de manière criante la sous-représentation de ces « petits candidats », qui peinent à obtenir de la visibilité. Mais comme Laurent Ruquier n’a pas manqué de le rappeler à Philippe Poutou lors de son passage à « On est pas couché », ces petits candidats n’ont « aucune chance d’être élu ». Alors à quoi bon ? Pourquoi se portent-ils candidats ? Ont-ils de réelles chances ? Le but de cet article n’est pas de critiquer le choix de TF1 mais de se demander si le traitement réservé aux petits candidats doit être modifié, si l’on doit leur permettre d’obtenir une meilleure visibilité, et s’ils sont réellement nécessaire au débat démocratique.

Une nécessité pour le débat démocratique

Ces six candidats ont des programmes et des visions variées voire même opposées : Philippe Poutou et Nathalie Arthaud portent ainsi un programme d’extrême gauche, Nicolas Dupont-Aignan est proche des Républicains – de tendance souverainiste et gaulliste, il a quitté l’UMP en 2007 – Jean Lassalle est quand à lui proche du centre -il quitte le MoDem en 2016. Ils ne sont pas uniquement opposés par leurs idées mais aussi par leur parcours : Jean Lassalle est technicien agricole, Philippe Poutou ouvrier et Nathalie Arthaud enseignante tandis que Nicolas Dupont-Aignan par exemple, possède un parcours politique plus classique. Néanmoins, ils partagent tous un point commun qui légitime leur candidature : ils ont traversé un véritable parcours du combattant pour pouvoir se présenter. Philippe Poutou n’a pas caché ses difficultés à trouver des parrainages (2) tandis que Nicolas Dupont-Aignan n’a pas voulu dévoiler leur nombre. Mais ces difficultés sont aussi perceptibles par le nombres de candidats restés à quai : pas moins de 8 candidatures on reçues entre 50 et 400 parrainages (3) et n’ont donc pu être validées par le conseil constitutionnel. Parmi eux, l’ancienne secrétaire d’État aux sports Rama Yade, la député européenne Michèle Alliot-Marie, mais aussi l’écrivain Alexandre Jardin ou encore la vainqueur de LaPrimaire.org – une primaire participative en ligne – Charlotte Marchandise. Et après avoir été déclaré candidats, il faut encore souffrir du manque d’exposition, les habituels « Vous n’avez aucune chance d’être élu » et le mépris de certains journalistes. Tout cela est extrêmement décourageant d’autant plus que seule les candidats qui dépasseront les 5 % de votes verront leurs campagnes leur être remboursées.

Alors pourquoi se présentent-il ? Tout d’abord, est-on si sûr qu’ils n’ont aucune chance d’être élus ? Jean Lassalle l’a par exemple crié haut et fort, il s’estime capable de parvenir au second tour. Et ce n’est pas utopiste ; comme l’a très justement rappelé François Fillon lors du fameux débat organisé par TF1 ; les sondages le créditaient à moins de 10 % des intentions de votes avant le premier tour des primaires (4). Philippe Poutou le candidat du NPA a au contraire affirmé qu’il n’avait que très peu de chances d’être élu ; mais il justifie sa présence au premier tour des présidentielles (5) en expliquant notamment que sa candidature permet de participer au débat démocratique, de représenter les ouvriers, d’avoir une exposition et de faire entendre des idées nouvelles, différentes. Comme lui, la plupart des petits candidats sont atypiques; la campagne de François Asselineau se fait par exemple essentiellement sur internet, Jean Lassalle veut représenter le monde rural et Nathalie Arthaud a quand à elle affirmé qu’elle ne voulait ni de l’Elysée ni de Matignon.

Bien-sûr les cinq « favoris » de l’élection présidentielles ont eux aussi des proposition originales – comme le revenu universel de Benoît Hamon par exemple – mais ce sont des idées qui sont plus facilement diffusées grâce à l’exposition dont ces candidats bénéficient. Ces différences montrent que les petits candidats sont nécessaires au débat démocratique, car ils permettent un véritable pluralisme. Il semble donc impératif que ces candidats puissent bénéficier d’une meilleure exposition, non pas grâce à un débat entre les onze candidats – c’est bien trop complexe à réaliser,les cinq candidats présents sur le plateau de TF1 n’ont eu que 25 minutes pour exposer leurs idées et le débat a duré plus de trois heures- mais plutôt à travers plusieurs débats opposants à chaque fois trois ou quatre candidats tirés au sort. De plus, alors qu’aujourd’hui nombre de « grands candidats » se présentent comme anti-systèmes, les petits candidats de part leurs difficultés, leurs parcours personnels, leur sous-représentation dans les médias et l’originalité de leurs idées, semblent bien plus proches de cette définition d’anti-système.

Une élection « verrouillée »

Si ce constat est affligeant, il est d’autant plus inquiétant sur le fond car l’inégalité entre « petits » et « grands » candidats a été particulièrement renforcée l’année dernière. A douze mois de l’élection présidentielle, les députés ont adopté dans la plus grande des discrétions une réforme des règles de l’élection présidentielle dont pâtissent aujourd’hui les petits candidats. Si l’objectif annoncé de cette loi est de moderniser les règles des élections présidentielles, on peu observer que dans les faits, elle permet surtout d’avantager les grands partis. Ainsi, les difficultés pour obtenir des parrainages ont été renforcées : les élus doivent transmettre par voie postale leur parrainage au Conseil Constitutionnel tandis qu’ils pouvaient auparavant le remettre à un candidat, et la liste des noms des parrains est dorénavant publiée. L’argument développé par les défenseurs de cette loi est celui de la transparence (6). Dans les faits, c’est un énorme handicap pour les petits candidats : cela peut rebuter certains élus de grands partis à les parrainer car ils pourraient encourir des remontrances ou des sanctions.

De plus, le financement de la campagne est passé d’un an à six mois. Autrement dit, seuls les six derniers mois de la campagne seront remboursés aux candidats. Là encore, les grands partis qui disposent d’une manne financière importante sont avantagés, car ils seront capable de prendre en charge le coût d’une campagne de douze mois. Mais ce n’est pas le cas des petits candidats qui disposent de moyens limités. Cependant, le point le plus controversé de cette nouvelle loi est celui du temps de parole. En s’inspirant d’une lettre ouverte de neufs directeurs de rédaction de chaînes télévision et de radio, la loi impose une équité du temps de parole cinq semaines avant le scrutin et une égalité du temps de parole deux semaine avant le premier tour. Auparavant, il n’y avait pas d’équité, les chaînes de radio et de télévision devaient respecter l’égalité du temps de paroles cinq semaines avant les élections. L’égalité permet d’avoir exactement le même temps de parole selon les candidats, l’équité signifie que les candidats doivent avoir la même contribution au débat. Pour en revenir à l’exemple de TF1, la chaîne n’aurait pu organiser un débat avec seulement cinq des candidats s’il n’y avait pas eu cette règle de l’équité – la chaîne a en effet assurée qu’elle donnerait un temps de paroles équivalent aux candidats qui n’avaient pas été invités. L’équité est mesurée par le Conseil National audiovisuel à partir de trois critères : les résultats obtenus aux récentes élection par le candidat ou le parti, la contribution au débat -chacun doit pouvoir y participer- et les indications )des enquêtes d’opinion (7). Cela pose un véritable problème démocratique car cela signifie que les sondages vont influencer le temps de parole.

Plusieurs personnes se sont insurgées contre cette proposition, Jean-Christophe Lagarde le patron de l’UDI à ainsi expliqué que « cette disposition est la plus grave du texte, car elle donne l’impression, justifiée, de verrouillage de l’élection présidentielle »(8). Une impression de verrouillage de l’élection renforcée par le fait que ce sont majoritairement les grands partis qui ont voté cette loi. 266 élus PS et 22 élus Républicains ont ainsi permis à la loi d’être adoptée – la majorité étant de 287 voix- tandis que l’UDI, le Front de Gauche, le Parti Radical et une majorité des élus écologistes ont voté contre cette loi. Si selon le Conseil Constitutionnel « la différence de traitement entre les candidats est justifiée par le motif d’intérêt général de clarté du débat électoral », Marie-George Buffet s’interroge :« où est la souveraineté populaire de faire évoluer les rapports de force et de choisir démocratiquement de nouveaux représentants ? »(9). Ainsi, Le Monde à calculé l’influence qu’aurait eu cette loi sur les élections de 2012 et les résultats montrent que les petits candidats auraient obtenu cinq à dix fois moins de temps de parole(10). Au contraire, Nicolas Sarkozy et François Hollande auraient vu leur temps de parole multiplié par trois.

Les petits candidats sont nécessaires au bon déroulement du débat démocratique. Ils permettent un pluralisme avec leurs particularités, incarnent des idées nouvelles et sont en somme les véritables candidats anti-systèmes. Les petits candidats sont des candidats normaux et possèdent par conséquents eux aussi des chances de victoire. Néanmoins, certains d’entre eux veulent surtout profiter du temps de parole qu’offrent les élections présidentielles pour proposer de nouvelles idées et avancer de nouvelles problématiques dans le débat démocratique. Mais leur sous-exposition pose la question de la démocratie et montre le danger de la nouvelle loi sur la modernisation de l’élection présidentielle. Car à terme, les petits candidats pourraient bien disparaître au profit d’une poignée de candidats comme c’est par exemple le cas aux États-Unis.

Maël Réveillé

Sources :

(1) https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle-2017/0211820470362-debat-presidentiel-le-dispositif-de-tf1-fait-polemique-2066923.php

(2) http://www.bfmtv.com/politique/presidentielle-2017-le-npa-peine-a-reunir-ses-500-parrainages-1106568.html#content/contribution/edit

(3) https://presidentielle2017.conseil-constitutionnel.fr/les-parrainages/parrainages-par-candidat/

(4) http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Sarkozy-reduit-l-ecart-avec-Juppe-914703

(5) https://www.youtube.com/watch?v=245fh7YbzWM

(6) https://www.lesechos.fr/21/04/2016/lesechos.fr/021861279869_presidentielle—la-reforme-des-parrainages-et-du-temps-de-parole-validee.htm

(7) http://www.lefigaro.fr/politique/2015/12/16/01002-20151216ARTFIG00146-une-loi-veut-supprimer-l-egalite-de-temps-de-parole-des-candidats-a-la-presidentielle.php

(8) https://www.lesechos.fr/04/04/2016/lesechos.fr/021816615922_presidentielle—les-nouvelles-regles-suscitent-l-ire-des–petits–candidats.htm

(9) http://www.courrierdesmaires.fr/60752/la-modernisation-de-lelection-presidentielle-et-des-temps-de-parole-des-candidats-jugee-deletere/

(10) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/04/01/temps-de-parole-vers-une-presidentielle-plus-inegalitaire_4894005_4355770.html

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